Une faille

Je rêve d’un monde immobile. Je pourrais à mes aises marcher au milieu des rues silencieuses, pieds nus sur le goudron tiédi par un soleil aux rayons figés. Comme dans un arrêt sur image, les gens seraient immobilisés, les plis de leurs vêtements trahissant la précipitation avec laquelle ils se mouvaient avant l’incident. Je m’attarderais sur leurs regards emplis de stress, de doutes, souvent de vide. Puis lassée de toute cette masse humaine, je les dégonflerais comme des ballons en posant simplement mon doigt sur leur fine membrane.
 Tout en courant pour les faire disparaître plus vite, je réaliserais que mes pas n’émettent aucun bruit lors de leur contact avec le bitume. J’aurais l’impression de flotter à quelques centimètres du sol. J’essaierais de crier, en vain, aucun son ne sortirait de ma bouche. J’observerais ensuite curieusement une ville sans âme, son inutilité me fouettant le visage. Je me baisserais pour toucher ce goudron sur lequel j’aime tant marcher, je me dirais qu’ici n’est pas sa place, pas plus que celle de tous ces immeubles de béton. J’observerais un carré herbé et arboré. Une ville où une parcelle de verdure perce le bitume, lorsque celui-ci ne devrait que parsemer celle-là. Sous cette couche de civilisation, la nature étouffe, la nature se meurt.

Révoltée, dégoûtée de l’essence humaine, je détruirais toute cette masse bétonnée dans un chaos silencieux.



Puis le temps reprendrait son cours et la nature sa place. Rapidement, une herbe verte et fraîche apparaîtrait sur les ruines de la ville, de jeunes pousses d’arbres s’installeraient ici et là, une immense variété de fleurs recouvrirait le paysage. Un jour, les petits animaux des contrées lointaines migreraient dans l’ancienne ville, lui apporteraient vie et sons, et après plusieurs années, les ruines auraient l’allure d’un jardin d’Eden.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.