Vélo bis

Je voyais les kilomètres défiler sous les roues de mon vélo. Et le compteur de fréquence cardiaque de ma montre augmenter, 135, 143, 150, 156, 164, 170, jusqu’où puis-je pousser mon cœur ? Et j’allais vite. Toujours plus vite. Impossible d’augmenter les vitesses de mon vélo, j’étais au maximum, alors j’ai poussé avec mes jambes, toujours plus fort, mes muscles se contractaient et se décontractaient dans ce mouvement qui était devenu pour eux une habitude, je le sais car ils ne me procuraient déjà plus aucune douleur, il y avait seulement ce compteur, qui augmentait, les arbres qui défilaient et mon cœur qui battait toujours plus vite et toujours plus fort. Et puis je me suis dit, peut-être que si je continue sans jamais m’arrêter mon cœur explosera, il explosera vraiment, concrètement, et alors, si il explose, il ne pourra plus jamais me faire mal.
Et j’ai alors pris cette décision : je ne m’arrêterai de pédaler que lorsque mon cœur explosera.

Vélo

Et là sur ma gauche il y avait la mer, à perte de vue. Le ciel était nuageux mais cela n'altérait en rien les reflets azurs de l'eau. La route asphaltée s'appelait "Lungomare", rien d'étonnant. Face à moi, je la voyais longer la montagne, je la voyais grimper et redescendre. Dans mon corps déjà se tendaient mes muscles, ceux de mes cuisses, de mes mollets, déjà mon corps s'activait d'excitation face à un tel spectacle. Et puis je pris une bouffée d'air, mis mon pied droit sur la pédale, et donnai ma première impulsion. Mon pied gauche vint rejoindre la seconde pédale, mes chaussures s'accrochèrent, et, debout sur mon vélo, je commençai à prendre de la vitesse. Le vent contre mon visage fit sécher les dernières larmes qui collaient encore à mes joues. Arriva la première montée, je me mis à grimper, baissai les vitesses, maintenant, tout mon corps en action, mes muscles se contractent et se décontractent dans un rythme régulier et pourtant tout est dans ma tête, chaque poussée comme un combat contre moi-même, contre la faiblesse de ma douleur, de mes larmes, et aussi contre ceux qui les ont fait couler. C'est ici, ma force, ma revanche, c'est sur mon vélo que je la trouve, c'est ici mon combat, si je peux surmonter la douleur de mon corps alors je peux surmonter toutes les douleurs. Je dois juste atteindre le sommet, ça y est mon esprit se vide, plus rien d'autre n'existe que l'asphalte sous mes yeux, devant ma roue, que mes jambes qui poussent et souffrent et poussent encore. Cette fois-ci j'ai de la chance, la montée n'est pas interminable comme d'autres, je n'ai pas le temps d'atteindre ma limite, je n'ai pas le temps de dépasser ma limite, que déjà arrive la descente. Mes jambes ralentissent. Repos du guerrier. Je prends de la vitesse, je ne veux pas freiner. La route est sinueuse et je penche mon corps sur la gauche et sur la droite pour la suivre. Il n'y a toujours aucune voiture. Le vent de la vitesse sur mon corps encore endolori fait s'hérisser les poils de mes bras. Je respire. Enfin, je respire. L'air marin, l'odeur des arbres, je respire loin des villes l'air de la liberté. A ma gauche, la mer, impassible, n'a pas bougé. L'horizon me contemple dans son infinité.

La fille qui pleure

C’est ainsi que tu te rappelleras de moi. La fille qui pleure. J’ai pourtant tenté d’être la fille joyeuse, celle qui mets du baume au cœur avec son grand sourire innocent qui traverse son visage de part et d’autre de sa chevelure blonde. J’ai réconforté les âmes écorchées, celles qui s’arrêtaient au coin des bars du crépuscule à l’aube. J’ai aimé ce rôle, un rôle facile, on se sent utile, certains mêmes m’ont volé des baisers qui sur leurs lèvres avaient le goût du paradis.
Je pense que c’est ce que j’ai toujours fait, depuis l’enfance. M’occuper des autres par peur de contempler la vacuité de ma propre existence.
Mais le simulacre a cessé avec toi. Tu me tends tous les jours un miroir dont la contemplation me déchire. Tu n’as pas besoin de moi. Pas comme les autres. Tu souhaites me voir m’épanouir face à mon miroir. Et moi, tout ce que je vois, c’est une fille qui pleure. Je déteste ce miroir, on y voit tous les détails de mon âme, l’encre qui a noircit ses rêves, on y voit la désolation et la déception, on y voit le pessimisme, la faiblesse, l’immobilité, la crainte, et par dessus tout l’incommensurable solitude.
Il y a un nœud de mots coincés dans la gorge, de la pyrogravure sur les avant-bras, des bleus dans l’estomac. Un bouclier de muscles que j’ai tenté maladroitement de construire ces dernières années. Il y a aussi une aura dorée qui m’entoure, et un fil de fer qui relie mon corps de la terre au ciel infini. Et à la place du cœur, un trou. Evidemment, mon cœur a disparu. Tu me l’as volé, toi derrière ton miroir.
La fille qui pleure pleure davantage. Elle tente de briser le miroir de ses mains délicates. Sans succès.
Comment suis-je sensée m’épanouir sans mon cœur ? Où trouver le bonheur si je ne puis animer mon corps de sang, de vie?
Mais je connais la réponse.
Rejoins-moi. De l’autre côté du miroir.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.