Crise existentielle d'une bisexuelle.

J’aime la femme. Et pourtant, je me refuse à être jetée dans le panier des lesbiennes. Celles qu’on voit dans les shows télévisés ou dans le bar LGBT du coin. Celles avec les cheveux en pétard, un jeans large et une polaire. Celles avec des dreadlocks qui écoutent de la technoélectropostminimaldubstep dans des prairies en mode I love the world.
J’ai pas envie d’être une lesbienne, j’ai pas envie de militer pour le mariage gay, ni d’essayer de savoir comment on peut implanter l’ovule d’une femme dans une autre et encore moins de me demander laquelle des deux on appellera Maman. Je ne veux pas être une famille Arc-en-ciel, j’ai pas envie non plus être le sujet de travaux de recherche d’étudiants de socio ou le sujet préféré des documentaires de milieu d’après-midi qui ciblent la ménagère moyenne.
J’en ai assez des lesbiennes qui ont l’air de mecs et des belles femmes pas assez lesbiennes. J’en ai assez de ces nanas qui n’assument pas leur féminité, j’en ai assez des femmes qui n’aiment pas les hommes.

Pourquoi tant de complications alors que la seule chose que je désire, ce sont de petits seins ronds dans le creux de mes paumes, de longs cheveux parfumés dans lesquels glisser mes doigts et une peau douce à caresser ?

S'envoyer en l'air

Bouleversante. C’est le meilleur mot qui me vient à l’esprit. Vous m’avez bouleversée. Dans le terminal, tout d’abord.
Une robe bleue, un chignon serré, des lunettes cerclées de noir.
Et un visage à couper le souffle.
Puis juste derrière moi, en entrant dans l’avion. J’aurais peut-être dû trébucher sur votre valise, maladroite comme je suis, ça n’aurait surpris personne et surtout cela m’aurait permis de vous revoir.
C’est ainsi. Si j’avais été un homme, j’aurais eu une paire de couilles pour venir vous aborder.
Mais je ne suis qu’une femme. Et je n’ai jamais fait ça. Je ne saurais même pas quoi vous dire.
« Mademoiselle, j’ai réfléchi pendant tout le vol à ce que je pourrais vous dire, alors je vais être honnête : vous êtes bouleversante. »
« C’est gentil, mais je ne suis pas intéressée. »
Moi non plus… d’habitude.
« Mademoiselle, j’aimerais beaucoup faire votre connaissance. »
« Mademoiselle, vous êtes sublime. »

Sauf que je n’ai pas de couilles.
J’aurais aussi pu donner cette lettre au steward, lui dire de la transmettre à la jolie blonde en robe bleue…
Laissons cela aux hommes. De toute façon, c’est trop tard. Le steward vient de passer.

Alors voilà. Nous n’allons pas tarder à atterrir, je rejoindrai mon homme, ma vie, vous laissant à la vôtre. Et je vous oublierai. Trop vite, malheureusement.
Car la vie est faite d’un millier de chemins possibles que nous n’empruntons jamais.
Peut-être qu’un jour le courage…? Après tout on ne vit qu’une fois.

Pas aujourd’hui.

Haine.

Haine.
Envahissante. Maux de tête.
Je ne veux pas haïr.

J'en veux à la nouvelle femme de mon père de m'avoir privé de mon frère et de ma soeur, deux petits anges blonds aux yeux bleus comme les miens.
J'en veux à mon père de l'avoir laissée faire.
J'en veux à ma mère de ne jamais me prendre au sérieux, d'être intolérante, fermée d'esprit et aussi d'avoir toujours préféré ma soeur.
J'en veux à ma soeur de son ingratitude.
J'en veux aux amours qui m'ont trompée, à ceux qui m'ont délaissée, à ceux qui m'ont volée, à ceux qui m'ont oubliée.
J'en veux à celles qui me détestent et me jalousent sans me connaître.
J'en veux à ceux qui m'ont frappée.
J'en veux à ceux qui m'ont menacée.
J'en veux à ceux qui ont abusé de ma confiance, j'en veux aussi à ceux qui ont tenté d'en abuser.
J'en veux à ceux qui sacrifient des innocents, j'en veux à l'injustice, de la cour de récré à la guerre en Syrie, j'en veux à la société qui est injuste.
Et j'en veux pas de toute cette haine.

Elle me bouffe de l'intérieur, j'ai mal au ventre, au crâne, j'ai mal à l'âme qui se noircit et tombe en cendres.

Je n'ai de cesse de pardonner sans qu'on me le demande, fardeau des tolérants.

Je pardonne, car si les gens sont mauvais, c'est qu'un jour quelqu'un fût mauvais avec eux. Ils sont victimes d'un cercle vicieux dont ils ne peuvent s'extraire.

La haine et la pitié ne sont qu'à quelques centimètres l'une de l'autre.
Et un peu plus loin, l'amour.

J'aime les gens que je hais car j'ai pitié d'eux.
Quel paradoxe.

Je suis dans mon propre cercle vicieux. On me fait du mal, je pardonne, et on m'en refait encore. Comme si Dieu voulait tester mes limites. A quel moment cessera-t-elle de pardonner?

Maux de tête. Envie de vomir. Ma limite n'est plus si loin à présent.

Heureusement, il me reste une arme pour ne pas succomber à la haine.
Être heureuse.

Vertige

Le vertige, c’est avoir peur de sa propre envie de sauter dans le vide.



Moi, c’est la vie qui me donne le vertige.

Je crie plume.

Pour écrire, il faut que tout le reste soit sans importance.

Si l’esprit est occupé par des examens à passer, des factures à payer, des voyages à organiser, des meubles à monter, des courses à faire, si l’esprit s’installe dans la réalité limitée du quotidien, alors le processus créatif ne peut se mettre en place.

Peu importe d’être à l’ombre d’un parasol sur une terrasse, allongé sur un lit, au coin d’un bar aromatisé café ou à même le sol au milieu de la foule. L’évasion se soucie peu du monde extérieur.

Une bouffée d’air, expiration lente. Un jet de delirium dans le cerveau, un peu comme une piqûre d’héroïne, il faut entrer dans le monde du paradoxe, que le corps s’engourdisse mais que chaque cellule soit aux aguets, être attentif aux odeurs, aux sons, au goût de l’air, aux sensations, celles qui se collent contre la peau mais aussi celles, plus subtiles, des ondes et des bouffées d’énergie qui nous traversent et nous transpercent. 

Il faut lâcher prise, perdre le contrôle de soi, entrer dans un état second, Pinocchio aux doigts guidés par l’inspiration.
D’autres réalités prennent place, parfois effrayantes, parfois euphorisantes. Des réalités illimitées avec lesquelles la plume peut flirter à ses aises.

Cette plume qui n’en fait qu’à sa tête. Qui se manifeste quand bon lui semble. Allez ! Je t’attends !

Ça et Moi

J’ouvre les yeux. J’ai soif. Je me lève, me dirige vers la salle de bain, je laisse l’eau du robinet couler contre ma joue. J’entrouvre mes lèvres et j’aspire, je lape, j’avale, je bois encore et encore jusqu’à ce que mon ventre soit gonflé, jusqu’à ce qu’il soit à la limite de l’explosion. Je jette un coup d’œil au réveil. Trois heures du matin. Merde. Je ne suis plus fatiguée. Et puis en fait, je crève de chaud. De petits pas de souris silencieux, je me rends sur le balcon. Il fait frais, calme, je respire. Je ne porte qu’un caleçon et un débardeur. Il n’y a pas de vent. Juste le silence. Et les étoiles. Je jette un coup d’œil par-dessus la rambarde. Putain, on est haut. Cinquième étage. Et si je sautais ? Une envie irrépressible que ma raison objecte aussitôt. Si tu sautes, tu vas mourir, petite sotte ! Je regarde en face de moi, le ciel étoilé qui domine les immeubles. Non, j’aimerais encore voir les étoiles. Ce n’est pas encore mon heure. Je m’allonge sur le canapé et admire le spectacle céleste. Mais ce n’est pas comme en vacances, lors de ces instants privilégiés en ma compagnie, dans l’obscurité totale, flottant sous le ciel / au-dessus du ciel, tout est une question de perspective… Ça m’énerve !
Premièrement, il y a trop de lumière en ville. Je n’arrive pas à voir assez loin. Et surtout, mon âme n’est pas tranquille. Ce n’est qu’une évasion partielle. Je me concentre de toutes mes forces pour m’évader, mais je n’y parviens pas. Allez, saute, envole-toi. Non ! S’envoler pour s’évader n’est qu’une image ! Je ne veux pas mourir ! Je commence à avoir froid… De petites lames glacées qui courent le long de ma peau. Ce que c’est bon ! Souffrir, juste un peu, pour se sentir exister.
Le parquet grince. La lumière du couloir s’allume.

Je suis de nouveau sur ce même balcon. Deux semaines ont passé. Deux semaines durant lesquelles je me tapissais dans l’ombre. Mais face à la verdure des arbres, aux effluves de quelques verres de vins qui viennent titiller mes nasaux, je m’éveille. J’aimerais m’accrocher à la rambarde, me pendre au-dessus du vide, sauter de balcon en balcon, glisser contre le mur. J’aimerais marcher dans les airs, à la cime des arbres, flotter, sans aucun contact avec le monde réel, pas même mes pieds contre le sol. Pourquoi ne pourrais-je pas marcher au-delà de la rambarde ? La distance au sol est exactement la même. Et pourtant, sur ce balcon en cet instant, je marche. Les lois de la physique se chamboulent. Pourquoi tomberais-je ?
Je me penche au-delà de la rambarde. Mes hanches y prennent appui. Mes mains la tiennent fermement. Je n’ai plus peur. Et pourtant, mon corps me renvoie tous les indices de mon vertige maladif. Mes jambes tremblent, mes mains sont moites. Mais je n’ai pas peur. J’analyse ces expressions corporelles avec curiosité. Ainsi, elleje… n’a pas totalement disparu. Se tapisse dans mon corps. Je la sens. Elle a peur. Elle crie à l’aide dans un éclat de lucidité. Je lui fais peur mais je ne suis pas son ennemie. J’ai besoin d’elle. Pour me contenir. M’empêcher… de tout foutre en l’air.

L'art de la cour

J’arpente les rayons de ma bibliothèque lorsqu’un fin livre à la couverture rouge vif attire ma main. Il fait tout au plus une centaine de pages, et la police est épaisse. Je le lirai sur ma terrasse à l’ombre des chênes en moins d’une heure, serai à temps pour mon rendez-vous de quatorze heures trente.
Tiens, certaines pages sont cornées. C’est juste, ce livre m’avait été prêté il y a cinq ans de cela par un ami dont le temps a estompé les traits. Certaines lignes sont soulignées, les siennes d’un trait irrégulier de stylo-bille, trahissant une main tremblante, les miennes d’une fine ligne droite de crayon de carbone, à peine perceptible, une tentation hésitante, et pourtant le désir de la perfection me poussant à emprunter une règle pour tirer des traits droits, des traits qui s’arrêtent à la fin de chaque phrase pour recommencer à la suivante, cela ne m’étonnerait pas d’ailleurs que je m’y sois prise à plusieurs reprises, armée d’une gomme et d’un taille-crayon.
Ainsi donc nous courtisions-nous, nous donnant tour à tour des conseils artistiques et des déclarations semi-sentimentales au travers des mots d’un autre.
« Etre artiste, c’est ne pas compter (…) patience est tout. » Stylo-bille.
« Les œuvres d’art sont d’une infinie solitude » Crayon de carbone.
«  Le mal n’est pas dans cette expérience (la volupté de la chair), mais en ceci que plus grand nombre en mésusent, proprement la galvaudent. Elle n’est pour eux qu’un excitant, une distraction dans les moments fatigués de leur vie, et non une concentration de leur être vers les sommets. » Stylo-bille.
« Ne vous observez pas trop. Gardez-vous de tirer de ce qui se passe en vous des conclusions hâtives. Laissez-vous faire tout simplement. » Crayon de carbone.
Des pages cornées sans mots soulignés. Le sont-elles de ta main ou de la mienne ? Devine quel est le message que je désire te transmettre.

Où est passé le noble art de la cour ? Quelle sensation cuisante de s’imaginer que j’en aie été capable. Que j’ai courtisé et été courtisée pendant plusieurs mois, la latence d’un amour qui refuse de se consommer, de se consumer. Quelle délicatesse. Vivre l’amour, le désir et la passion comme un art et non comme un comportement guidé par un simple instinct animal.
La lucidité et la désillusion nous poussent à nous séduire par l’art du corps, des rencontres alcoolisées dans un monde obscur, des mots à l’odeur âcre, des baisers impatients au goût rance, plus personne ne rêve, rêver est un signe de faiblesse, de naïveté, plus personne ne veut rêver.

Ami qui me lis, séduis-moi de tes mots et de ta subtilité. Tu sais tout aussi bien que moi que nous ne sommes rien de plus que des animaux qui copulent pour se reproduire. Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous bercer dans l’illusion d’être également d’avantage que cela.

Un autre délire

J’ai l’impression de vivre dans un cauchemar. Un autre monde. Les traits de mon visage dans la glace sont disproportionnés. La glace. J’ai envie d’une glace. A la vanille. J’ai envie de vomir. Mes doigts sont raidis, j’ai du mal à les bouger. Mes mains sont sèches, je vois ma peau vieillir en quelques secondes, je sens les rides qui se creusent, non, ce n’est pas réel, reviens. Les larmes rendent ma vision trouble. Mon champ visuel est cerclé de noir, le noir se referme, reste ici, je sais ce qui se passe lorsque ça se referme, cela m’est arrivé une fois, j’ai rouvert mes yeux sur un arrêt de bus, pendant quelques instants j’avais tout oublié, puis j’ai retrouvé mon nom, ma vie. Comment étais-je arrivée là ? Il faut que je mette mes lunettes. Les mots sont flous. Sur mes lunettes il y a des éclats de larmes. Et lorsqu’elles sèchent il ne reste que le sel, les larmes sont salées, il y a du sel sur mes lunettes, ça fait comme des petites étoiles dans mon champ de vision qui bougent avec ma tête. Ça va déjà mieux, j’arrive à respirer. Mon ventre gonfle, goonnnfle, il y a un bébé dedans, haha, ce n’est pas la réalité, ça ne l’est plus, mon bébé est mort, comme l’amour qui l’avait conçu. Il s’est déplacé dans mon crâne, un petit embryon si minuscule, comment peut-il à ce point me rendre folle ?
La douleur fantasmée a cela de plus que la douleur réelle, elle attise la curiosité, défie l’imaginaire, on peut s’y confiner comme au creux d’un édredon glacé, on peut la choisir, la contrôler, les fous ne sont rien de plus que des conteurs d’histoires. Mes histoires sont macabres. Je sens une boule entre mes mains, une boule d’énergie, j’en perçois les contours lisses et élastiques, elle est malléable, incassable, est-elle réelle ? Je n’ai plus peur de mes délires, je m’y réfugie comme le renard dans sa tanière, j’observe le monde à travers une vitre, où se trouve le réel ? Je veux mordre, déchirer, disséquer. Cette boule est incassable. Qu’y a-t-il dedans ? J’aimerais m’y glisser. Vivre dans un éternel rebond, vivre en apesanteur.

J’aime le chant des oiseaux.

Ennui

Ennui. Baudelaire avait tout compris. Dans la ménagerie infâme de nos vices, il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! (…) C’est l’ennui !
L’ennui, c’est le constat des limites du réel.
Que faire ? Rien n’a d’attrait. Tout semble fade. Indigne d’intérêt.
Tout semble connu et reconnu, discerné, décortiqué, routinier.
Alors, à quoi donc consacrer toute l’énergie qui s’agite en soi, boule d’énergie au creux du nombril qui se répand jusqu’au bout des membres, rendant les veines saillantes, raidissant les muscles, comment se libérer de cette puissance cognitivo-paralysante ?
De l’eau. Une douche brûlante. La chair de poule. Ce n’est pas suffisant.
Du sexe. Un orgasme, non deux, puis-je aller jusqu’à trois ? Toujours insuffisant.
De la bouffe. Des sucres lents, du pain, des pâtes, une pizza, du chocolat, n’importe quoi, avaler pour remplir le vide de l’ennui, j’ai mal au ventre, je me sens lourde et c’est toujours insuffisant.
L’ennui est devenu un poison qui coule dans mes veines. Des images traversent mon esprit, teintées du rouge de l’hémoglobine, assourdies par les percussions et la voix rauque d’un groupe de rock, contaminées par le noir du vice. Mon esprit se perd, les démons ont pris possession de lui. Je vois des reflets de couteaux d’acier glisser sur une peau blanche, je vois un félin en train de dévorer sa proie, la gueule ensanglantée, la chair qui se déchire, je vois du liquide noir et visqueux couler le long d’une paroi glacée. Cessez tout, cela m’épuise, j’ai besoin de sommeil, il faut que ça sorte, il faut que toute cette énergie s’échappe, je ne comprends plus rien, mon âme ne m’appartient plus, je dois retrouver le contrôle, il me faut de la violence, de la douleur, un frisson de soulagement dans le haut de mon dos, mes tensions qui se relâchent, mon cœur qui s’apaise.
Je ne peux pas.
Ce n’est pas bon pour moi.
J’ai juré d’arrêter.
Je ne veux plus de cicatrices.

Substituts qui pallient à la pire des addictions. Le sexe, l’alcool, la bouffe, le sport, l’eau, la musique. C’est comme donner du tofu à un carnivore. Pour survivre. Mais la faim subsiste. J’ai faim de violence.
Et l’écriture… l’écriture. Seul substitut véritable. Merci.

Mythomanes

La première fois, j’y ai presque cru. Séquestrée pendant un mois, battue, violée, échappée, séquestrée à nouveau, séquestrée sur un bateau (les versions diffèrent), tribunal, procès, prison, libération sous caution, interdiction d’approcher à moins de 400m.
Les yeux écarquillés, la poitrine lourde, je t’ai pris la main, j’y ai presque cru. Une petite chose fragile à protéger, comme j’avais toujours voulu.

C’est là le vice du mythomane. Il raconte des mensonges tellement énormes que l’on n’ose pas les remettre en question. « Ah bon ? Tu as été violée ? N’importe quoi ! » est le genre de phrase à éviter. Parce que si c’est vrai, si la personne s’est réellement confiée, qu’elle a ouvert son cœur, alors on a l’air bien con. On ne doute pas d’une telle confidence.

Et puis un jour, on lui fait une confidence à notre tour. Et c’est à ce moment que l’on découvre une autre caractéristique essentielle du mythomane : il n’a pas de limites. Il doit toujours faire plus fort. Ce qui lui est arrivé sera toujours pire, ou mieux, ou plus grand, ou plus extraordinaire.

« Tu t’es faite avorter… Je comprends. Moi je me suis faite avorter à cinq mois de grossesse. Elle n’était pas désirée. J’ai décidé de la garder. Mais elle a compris qu’elle n’avait pas sa place ici. Tu comprends, le médecin a dit que c’était elle ou moi. Mais moi je l’aimais déjà. Elle s’appelait Amalia. »
On dirait presque le titre d’un roman de gare. Elle s’appelait Amalia.
Sauf que cette fois-là je n’y ai pas cru. Mais j’ai compris une chose : c’était là ton principal atout, peut-être le seul. Une imagination débordante. Je suis restée. Je voulais disséquer l’univers d’une âme qui s’ennuie au point de s’imaginer une vie.

Ça en devenait drôle. Si j’avais mal au ventre, tu avais survécu à un cancer de l’estomac. Si je te disais qu’on m’avait fait passer le test des matrices de Raven à cinq ans pour me faire sauter une classe, tu avais 140 de QI. Si on parlait de mon roman, les éditeurs se battaient pour publier tes textes. Si on était dans la voiture, tu avais survécu à un accident qui avait fauché la moitié de la voiture et tué deux de tes amis. Sauf qu’une voiture qui se sépare en deux pile poil au milieu avec un côté qui reste intact, ça n’arrive que dans les dessins animés…

C’est drôle, jusqu’au moment où on a besoin de réconfort.
« Je ne vais pas très bien. Ma tante est en pleine séparation, ma grand-mère s’est cassé le col du fémur, mes examens commencent dans une semaine, et tu me manques. »
« Ouais, bein moi je suis en vacances en Inde à 35°C, je découvre le monde avec mes amis depuis trois semaines, vais à la plage et à la piscine, et j’ai failli mourir en buvant la tasse ! Tu t’en fous ? Tu es vraiment égoïste ! »
…Pauvre petite chose.

Et puis vient enfin l’attribut qui permet de distinguer le mythomane du simple menteur.
Lorsqu’à seulement deux jours d’écart, je reçois un :
« Si tu me quittes, je retournerai avec S. car c’est la personne idéale pour ne pas tomber amoureuse. C’est toi que j’aime. »
et un :
« J’aime S. Ce que j’aimais en toi, c’est que tu me faisais penser à elle. »
et que tu as oublié le premier message, et que face à l’évidence tu t’embourbes dans tes propres mensonges pour te convaincre que ce que tu as dit avait un sens, que tu inventes les histoires les plus saugrenues et fantasques pour te justifier avant tout par rapport à toi-même.

Et tu y crois !

Et c’est là le trait distinctif du mythomane : il croit à ses mensonges. Tu crois que tu as été séquestrée, que tu as perdu un enfant à cinq mois de grossesse, que tu as survécu aux plus terribles accidents et aux maladies les plus mortelles, tu crois que tu as publié des pièces de théâtre et que tu as acheté une maison avec les avoirs, tu y crois, mais tu n’es rien de plus qu’une fille d’immigrés qui s’ennuie dans son boulot de serveuse, dans sa chambre d’enfant avec son chat obèse, une fille qui n’a jamais dépassé le stade de l’école primaire où elle se retrouvait debout au bord du préau, observant et enviant les blondes souriantes et légères, désirant à tout prix être leur amie. Tu as grandi, aujourd’hui tu les veux dans ton lit, mais au fond, tu n’as jamais vraiment dépassé le stade de l’école primaire, les alliances, les conflits, les jeux de rôle.

Alors tu t’inventes une vie. Et tu y crois. Mais j’avoue, elle est intéressante, la vie de tes fantasmes.

On peut en vouloir au menteur, au manipulateur. On ne peut pas en vouloir au mythomane. C’est un estropié de l’âme.

Il existe dix mille façons d'aimer.

L’amour, c’est une drogue. Une piqûre d’héroïne injectée dans le cœur.
L’amour, c’est se retrouver au milieu d’une foule et sentir sa présence sans pouvoir le trouver du regard.
L’amour, c’est cette bulle intemporelle et irréelle où chaque instant semble empreint de magie et de grâce.
L’amour, c’est avoir les mêmes goûts en meubles Ikea.
L’amour, c’est mettre les sot-l’y-laisse du poulet directement sorti du four dans son assiette.
L’amour, c’est cette étreinte fragile et tendre qui suit l’orgasme.
L’amour, c’est accepter de s’enchaîner à une bague.
L’amour, c’est dépenser ses économies dans un collier serti de diamants, rien que pour la voir sourire.
L’amour, c’est mélanger ses gênes.
L’amour, c’est l’opulence. C’est le voir se régaler de notre cuisine jusqu’à devoir déboutonner son pantalon et pousser un soupir de satisfaction.
L’amour, c’est faire toutes les épiceries du village pour lui trouver de la papaye en hiver.
L’amour, c’est rester au fond de son lit pendant trois semaines et perdre six kilos de larmes.
L’amour, c’est se jeter d’un pont.
L’amour, c’est sortir du lit à 19 heures et rire parce qu’il fait déjà nuit.
L’amour, c’est se retrouver aux urgences avec un nez cassé le soir de la St-Sylvestre, parce qu’un mec l’avait insultée.
L’amour, c’est lui servir un verre d’eau avant qu’elle ait eu le temps de dire « j’ai soif ».
L’amour, c’est tenir ses cheveux pendant qu’elle vomit.
L’amour, c’est tenir sa main au moment où elle pousse son dernier soupir.
L’amour, c’est avaler.
L’amour, c’est sentir ses doigts au creux de notre main pendant que l’on regarde les étoiles.
L’amour, c’est admirer.
L’amour, c’est désirer.
L’amour, c’est pardonner.
L'amour?

Citation: Elle rit aux éclats

Elle se déhanche
S’avance
Se penche

Rousse
Provocante
Elle te mate
Elle te vampe

Toi tu sais déjà
Qu’il n’y aura plus qu’elle
Son corps, sa voix
Qui t’ensorcellent

Tu ne vois pas
Qu’elle t’épie, qu’elle te guette
Quand avec d’autres
Elle rit aux éclats

Fatale
Elle se pâme
T’alarme
Te désarme

S’appuie
Sur ton épaule
S’accroche
A tes paroles

Toi tu crois déjà
Qu’elle chancelle et chavire
Quand, alanguie
Elle frémit et soupire

Tu ne comprends pas
Qu’elle est de celles qui charment
Avec leur corps
Mais sans leur âme

Elle se déhanche
S’avance
Se penche

Frivole
Elle papillonne
Se pose
Et puis s’envole

Toi tu sens déjà
Ton cœur qui se lézarde
Tu donnerais tout
Pour qu’elle s’attarde

Tu n’imagines pas
Qu’elle l’épie, qu’elle le guette
Quand avec toi
Elle rit aux éclats

Toi, tu ne vois pas le piège
Qui fera voler
Ton cœur en éclats


Vaya Con Dios, Quand elle rit aux éclats

Princesse au cœur de glace

Princesse au cœur de glace, élégante, parée d’atours aux airs trop lourds, de bagues aux mille carats que tes doigts maigres peinent à supporter. Voilée de dentelle et de satin, la traîne de ta robe noire glisse sans bruit derrière tes escarpins perchés. Tes mains sont aussi gelées que ton cœur, ton regard vide et vitreux est encerclé d’un trait de Kôhl que cachent tes cernes creuses. Tes lèvres violettes ont le goût du sang, rugueuses et salées.
Ta silhouette aux allures frêles supporte sans peine le poids de tes parures ; tu es rigide telle une statue de marbre. Tu sens l’encens dont tu as abusé pour cacher l’odeur rance de ta peau.
Princesse de glace. Ton autopsie révèlera un cœur noir comme du charbon qu’aucune flamme n’a su embraser.

Tombée en désamour

J’ai donné dans les clichés
Pauvre fille atterrée
Jours et nuits confondus
Demoiselle abattue.

J’ai perdu le sommeil et l’appétit
Pleuré à m’en dessécher
Affalée dans mon canapé
Marionnette désarticulée.

Puis un matin, deux rayons de soleil
Sur mon visage embrumé ont percé.
Soudain le silence. Le vide.
Une bouffée d’air enfin. Un sourire.

Ça y est, c’est l’embardée
J’ai fini par tomber
Tomber en désamour,
C’est fini, effacé,
La silhouette de mes rêves
A perdu tes contours.
La voici voilée
À nouveau. Tout est possible.

J’ai rêvé de romance,
Et tu n’y étais pas.
J’ai senti mon cœur battre,
Et tu ne l’occupais pas.
J’ai croisé ton regard,
Il m’est presque étranger
Mes mains ne tremblent plus
L’horizon est derrière toi.
Qui es-tu ?

Les mois ont passé.

Au détour d’une soirée
Légèrement arrosée,
Quelques mots t’échappent :
« Je ne t’ai jamais oubliée. »

Fascinant et décevant,
Moi qui les espérais tant,
Ils me sont indifférents…

C’est trop tard, effacé,
J’ai trébuché, je suis tombée.
Tombée en désamour.

Petite poupée de sucre

Petite poupée de sucre
Tu fonds sous mes baisers
Tu as la douceur du sirop
Et l’élégance du blanc marbré
Mais il suffit de te chauffer un peu
Pour que tu tournes en caramel
Moins violent qu’un vin qui tourne en vinaigre
Mais beaucoup plus virulent.
Or petite poupée de sucre
Tu fonds contre mon cœur
Plus que tu ne colles à mes dents.
Sous ta peau incassable
En sucre Candy
Se trouve un cœur de guimauve;
J’y croquerais à pleines dents !

L'Homme lucide

L’errance est le fardeau de l’Homme lucide. Impassible face à son destin qu’il anticipe trop bien, il erre l’âme en peine, déçu du constat de la fatalité qui lui est vouée. Il sait que sa disparition ne chamboulera pas l’équilibre de l’univers, ni même l’équilibre du monde des Siens. La nature l’a animé sans ne lui demander rien d’autre que de survivre et se reproduire. Voici ce qui animera tous ses actes. Se nourrir pour survivre. Gagner de l’argent pour se nourrir. Être beau, riche, intelligent, toutes ces qualités qu’il cherchera à acquérir ne serviront qu’à élargir sa palette de choix lorsque viendra le moment de se reproduire. Si c’est un homme, sa quantité illimitée de gamètes lui fera rechercher la quantité de partenaires plutôt que la qualité. Si c’est une femme, à l’inverse, son seul gamète disponible par mois la forcera à être plus sélective, et à rechercher la qualité plutôt que la quantité. Puis lorsqu’il aura survécu suffisamment longtemps, lorsqu’il se sera suffisamment reproduit, il disparaîtra. Il ne restera de lui qu’un souvenir, qui subsistera quelques générations tout au plus. Il sait qu’il n’est rien d’autre qu’une série de réactions chimiques (fortuites ou non, cela reste à vérifier) dans un amas de cellules. Il sait que tout a une fin. Il regarde le monde s’agiter comme l’enfant observe des fourmis dans un vivarium. S’agiter sans but. Donner un sens à sa vie ? La vie n’a pas de sens. Elle est là, c’est tout. Être heureux ? Il ne conçoit même pas la définition de bonheur. Les zygomatiques qui s’activent, le cœur qui s’accélère, une sécrétion d’endorphines, rien de plus. Être utile ? Utile à quoi ? À la survie de son espèce ? Certes, en plus de survivre et se reproduire, il peut aider les autres à survivre et se reproduire. Mais la finalité est toujours la même. L’amour ? Aimer les autres ne permet que de mieux les protéger, et donc assurer leur survie, ou d’être protégé par eux, et à nouveau, assurer sa propre survie. Aimer une autre espèce que la sienne, n’est-ce pas merveilleux ? Ne plus s’assurer uniquement de la survie de sa propre espèce. L’Homme lucide est souvent un ami des bêtes.
Il se rit et plaint tout à la fois les fourmis qui s’empressent dans leur cage, sans entrapercevoir le non-sens qui anime leur dimension de fourmis. Parfois, on lui demande quel est le sens de sa vie. Parfois, pire, on lui demande ce qui le rend heureux. L’Homme lucide essaie d’expliquer, mais personne ne le comprend. D’ailleurs, lui-même a du mal à comprendre qu’on ne le comprenne pas. L’Homme lucide est qualifié de pessimiste. Mais ce n’est pas qu’il baisse les bras, simplement qu’il ne voit pas l’utilité de les lever.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.