Un autre délire

J’ai l’impression de vivre dans un cauchemar. Un autre monde. Les traits de mon visage dans la glace sont disproportionnés. La glace. J’ai envie d’une glace. A la vanille. J’ai envie de vomir. Mes doigts sont raidis, j’ai du mal à les bouger. Mes mains sont sèches, je vois ma peau vieillir en quelques secondes, je sens les rides qui se creusent, non, ce n’est pas réel, reviens. Les larmes rendent ma vision trouble. Mon champ visuel est cerclé de noir, le noir se referme, reste ici, je sais ce qui se passe lorsque ça se referme, cela m’est arrivé une fois, j’ai rouvert mes yeux sur un arrêt de bus, pendant quelques instants j’avais tout oublié, puis j’ai retrouvé mon nom, ma vie. Comment étais-je arrivée là ? Il faut que je mette mes lunettes. Les mots sont flous. Sur mes lunettes il y a des éclats de larmes. Et lorsqu’elles sèchent il ne reste que le sel, les larmes sont salées, il y a du sel sur mes lunettes, ça fait comme des petites étoiles dans mon champ de vision qui bougent avec ma tête. Ça va déjà mieux, j’arrive à respirer. Mon ventre gonfle, goonnnfle, il y a un bébé dedans, haha, ce n’est pas la réalité, ça ne l’est plus, mon bébé est mort, comme l’amour qui l’avait conçu. Il s’est déplacé dans mon crâne, un petit embryon si minuscule, comment peut-il à ce point me rendre folle ?
La douleur fantasmée a cela de plus que la douleur réelle, elle attise la curiosité, défie l’imaginaire, on peut s’y confiner comme au creux d’un édredon glacé, on peut la choisir, la contrôler, les fous ne sont rien de plus que des conteurs d’histoires. Mes histoires sont macabres. Je sens une boule entre mes mains, une boule d’énergie, j’en perçois les contours lisses et élastiques, elle est malléable, incassable, est-elle réelle ? Je n’ai plus peur de mes délires, je m’y réfugie comme le renard dans sa tanière, j’observe le monde à travers une vitre, où se trouve le réel ? Je veux mordre, déchirer, disséquer. Cette boule est incassable. Qu’y a-t-il dedans ? J’aimerais m’y glisser. Vivre dans un éternel rebond, vivre en apesanteur.

J’aime le chant des oiseaux.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.