Princesse au cœur de glace

Princesse au cœur de glace, élégante, parée d’atours aux airs trop lourds, de bagues aux mille carats que tes doigts maigres peinent à supporter. Voilée de dentelle et de satin, la traîne de ta robe noire glisse sans bruit derrière tes escarpins perchés. Tes mains sont aussi gelées que ton cœur, ton regard vide et vitreux est encerclé d’un trait de Kôhl que cachent tes cernes creuses. Tes lèvres violettes ont le goût du sang, rugueuses et salées.
Ta silhouette aux allures frêles supporte sans peine le poids de tes parures ; tu es rigide telle une statue de marbre. Tu sens l’encens dont tu as abusé pour cacher l’odeur rance de ta peau.
Princesse de glace. Ton autopsie révèlera un cœur noir comme du charbon qu’aucune flamme n’a su embraser.

Tombée en désamour

J’ai donné dans les clichés
Pauvre fille atterrée
Jours et nuits confondus
Demoiselle abattue.

J’ai perdu le sommeil et l’appétit
Pleuré à m’en dessécher
Affalée dans mon canapé
Marionnette désarticulée.

Puis un matin, deux rayons de soleil
Sur mon visage embrumé ont percé.
Soudain le silence. Le vide.
Une bouffée d’air enfin. Un sourire.

Ça y est, c’est l’embardée
J’ai fini par tomber
Tomber en désamour,
C’est fini, effacé,
La silhouette de mes rêves
A perdu tes contours.
La voici voilée
À nouveau. Tout est possible.

J’ai rêvé de romance,
Et tu n’y étais pas.
J’ai senti mon cœur battre,
Et tu ne l’occupais pas.
J’ai croisé ton regard,
Il m’est presque étranger
Mes mains ne tremblent plus
L’horizon est derrière toi.
Qui es-tu ?

Les mois ont passé.

Au détour d’une soirée
Légèrement arrosée,
Quelques mots t’échappent :
« Je ne t’ai jamais oubliée. »

Fascinant et décevant,
Moi qui les espérais tant,
Ils me sont indifférents…

C’est trop tard, effacé,
J’ai trébuché, je suis tombée.
Tombée en désamour.

Petite poupée de sucre

Petite poupée de sucre
Tu fonds sous mes baisers
Tu as la douceur du sirop
Et l’élégance du blanc marbré
Mais il suffit de te chauffer un peu
Pour que tu tournes en caramel
Moins violent qu’un vin qui tourne en vinaigre
Mais beaucoup plus virulent.
Or petite poupée de sucre
Tu fonds contre mon cœur
Plus que tu ne colles à mes dents.
Sous ta peau incassable
En sucre Candy
Se trouve un cœur de guimauve;
J’y croquerais à pleines dents !

L'Homme lucide

L’errance est le fardeau de l’Homme lucide. Impassible face à son destin qu’il anticipe trop bien, il erre l’âme en peine, déçu du constat de la fatalité qui lui est vouée. Il sait que sa disparition ne chamboulera pas l’équilibre de l’univers, ni même l’équilibre du monde des Siens. La nature l’a animé sans ne lui demander rien d’autre que de survivre et se reproduire. Voici ce qui animera tous ses actes. Se nourrir pour survivre. Gagner de l’argent pour se nourrir. Être beau, riche, intelligent, toutes ces qualités qu’il cherchera à acquérir ne serviront qu’à élargir sa palette de choix lorsque viendra le moment de se reproduire. Si c’est un homme, sa quantité illimitée de gamètes lui fera rechercher la quantité de partenaires plutôt que la qualité. Si c’est une femme, à l’inverse, son seul gamète disponible par mois la forcera à être plus sélective, et à rechercher la qualité plutôt que la quantité. Puis lorsqu’il aura survécu suffisamment longtemps, lorsqu’il se sera suffisamment reproduit, il disparaîtra. Il ne restera de lui qu’un souvenir, qui subsistera quelques générations tout au plus. Il sait qu’il n’est rien d’autre qu’une série de réactions chimiques (fortuites ou non, cela reste à vérifier) dans un amas de cellules. Il sait que tout a une fin. Il regarde le monde s’agiter comme l’enfant observe des fourmis dans un vivarium. S’agiter sans but. Donner un sens à sa vie ? La vie n’a pas de sens. Elle est là, c’est tout. Être heureux ? Il ne conçoit même pas la définition de bonheur. Les zygomatiques qui s’activent, le cœur qui s’accélère, une sécrétion d’endorphines, rien de plus. Être utile ? Utile à quoi ? À la survie de son espèce ? Certes, en plus de survivre et se reproduire, il peut aider les autres à survivre et se reproduire. Mais la finalité est toujours la même. L’amour ? Aimer les autres ne permet que de mieux les protéger, et donc assurer leur survie, ou d’être protégé par eux, et à nouveau, assurer sa propre survie. Aimer une autre espèce que la sienne, n’est-ce pas merveilleux ? Ne plus s’assurer uniquement de la survie de sa propre espèce. L’Homme lucide est souvent un ami des bêtes.
Il se rit et plaint tout à la fois les fourmis qui s’empressent dans leur cage, sans entrapercevoir le non-sens qui anime leur dimension de fourmis. Parfois, on lui demande quel est le sens de sa vie. Parfois, pire, on lui demande ce qui le rend heureux. L’Homme lucide essaie d’expliquer, mais personne ne le comprend. D’ailleurs, lui-même a du mal à comprendre qu’on ne le comprenne pas. L’Homme lucide est qualifié de pessimiste. Mais ce n’est pas qu’il baisse les bras, simplement qu’il ne voit pas l’utilité de les lever.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.