Funambule aux jambes brisées

Née d’un père magicien
Et d’une mère acrobate
Tu n’avais de ton destin
Entre les mains que peu de cartes

Une roulotte pour abri
Un poney pour meilleur ami
Enfant solitaire enfermée dans ta bulle,

Rêvant de liberté,
D’air pur à respirer
C’était décidé : tu serais funambule.

Des années durant,
Persévérance aidant
Tu cherchas ton équilibre
Afin d’enfin te sentir libre.

Le soir de tes vingt ans,
Face à un public acclamant
Première fois sans filet – quelle ironie ! –
Pour la première fois ta balance te trahit.

Une chambre d’hôpital pour abri
Une infirmière pour meilleure amie
Par la fenêtre tu observes le ciel
Songeant à cette alliée qui te coupa les ailes

Tu eus préféré l’avoir autour du cou,
Plutôt que déboitant tes genoux.
Te voici funambule aux rêves cassés
Une funambule aux jambes brisées…

Sans étiquettes

S’il doit y avoir une chose qui me révulse au point de m’en faire dresser mes cheveux blonds sur ma tête, ce sont les étiquettes.
C’est pourtant systématique. On ne se présente pas en disant « Bonjour, moi c’est Dominique, j’aime la nature et aussi le chocolat, j’ai tendance à être timide mais si je bois une ou deux bières, alors je peux danser toute la nuit, surtout sur du vieux Rock’n’roll, j’adore le vieux Rock’n’roll. »
Non. En général, c’est plutôt ainsi « Bonjour, moi c’est Dominique. » J’ai les cheveux courts, des poils aux bras, un pantalon à pinces et je sens le musc de mon après-rasage, je suis un homme. J’ai une cravate et une ceinture Hermès, une montre Rolex, je paye avec des gros billets, je suis riche. Voici ma carte de visite, je suis banquier, gestionnaire marketing. J’ai une alliance, je suis marié. Je la mets dans la poche, je suis un mauvais mari.

Quel est ton sexe, ta religion, ta nationalité, ta sexualité, ton statut social, économique, es-tu un mari, es-tu un père, combien gagnes-tu, qu’as-tu fait comme études, bonjour, voici le CV de ma vie.

Salut, moi c’est Laetitia, je suis terrienne.

Le problème, c’est que ces catégories deviennent intrinsèques à l’œil que l’on porte sur l’autre. Le problème, c’est que lorsque quelqu’un brise les schémas de ces catégories, ou pire, ne se retrouve dans aucune catégorie existante, cela créé un malaise chez l’individu tout venant, celui qui aime se catégoriser. Le problème, c’est que ceux qui ne s’y retrouvent pas, ceux qui se refusent à utiliser ces étiquettes sociales à deux balles comme fondement de leur identité, ceux-là sont rejetés par la crétine majorité.

Prenons la sexualité pour exemple. L’homosexualité est aujourd’hui tolérée car il existe un panier dans lequel on peut mettre ces individus qui aiment les personnes du même sexe que le leur. Une étiquette à laquelle peuvent s’identifier ceux qui ne se retrouvent pas dans le schéma d’hétérosexualité dominant. Ce schéma femme féminine – homme masculin. D’ailleurs, ceux qui admettent uniquement le schéma homosexuel femme féminine – femme masculine ou homme masculin – homme féminin sont aussi fermés d’esprits que ceux qui ne « tolèrent pas » l’homosexualité. « Qui fait l’homme et qui fait la femme ? » Au secours ! J’ai l’impression de devoir expliquer à un enfant qu’entre 1 et 2 il n’y a pas seulement 1 et 2, mais aussi 1.5 (première étape : bisexualité), mais aussi 1.1, 1.2, 1.3, 1.4, 1.6, 1.7, 1.8 et 1.9 (deuxième étape : échelle de Kinsey), et enfin qu’entre ces décimales il existe une infinité de possibilités, un infiniment petit, comme le 1.11111… qui ne termine jamais, lui expliquer que chaque nombre n’est identifiable que par celui qui le suit et celui qui le précède (exactement comme le temps, le présent n’est identifiable que par le passé et le futur, mais je m’égare…).
C’est comme vouloir expliquer la 3D à celui qui n’a jamais vécu qu’en 2D.

Salut, moi c’est Laetitia, je suis terrienne, et je ne suis ni homosexuelle, ni hétérosexuelle, ni bisexuelle. Et là en vous naît le malaise. Comment me catégoriser ? Peut-être ainsi : humanosexuelle. Je suis une humaine qui aime un autre humain, indépendamment de son sexe, de sa religion, de sa nationalité, de sa sexualité, de son statut social ou économique.

Je vais encore davantage briser vos petits schémas binaires : il existe un continuum de l’identité de genre, et un continuum de la représentation de cette identité. Il n’y a pas de féminité ou de masculinité dans la façon de vêtir, de se coiffer, de se comporter, la masculinité et la féminité sont des constructions purement sociales, une façon de plus de catégoriser les gens pour avoir la sensation de contrôle sur l’existence humaine, de connaître l’autre avant même de le rencontrer, de savoir d’avance quel comportement avoir vis-à-vis de lui, mais nous sommes aussi différents les uns des autres qu’il y a d’humains sur terre, si vous voulez créer des catégories, merci d’en créer 7 milliards. Chaque individu puise ce qu’il souhaite dans les catégorisations sociales, celles d’identité de genre ou toutes les autres, que ce soit par envie ou par devoir, ou par désir conscient ou inconscient de se fondre dans la masse.

Je vais encore plus loin : il n’existe pas de schéma binaire homme vs femme. Il existe quatre catégories qui définissent ce qu’est un homme ou une femme, et aucune de ces catégories n’est binaire.1
  •        La première : le sexe chromosomique. XY pour un homme, XX pour une femme. Et que fait-on des femmes XY, des hommes XX ? Que fait-on des XXY, XXXY, XXX, XXXO, etc ?
  •        La deuxième : le sexe gonadique. Testicules pour un homme, ovaires pour une femme. Or, certaines femmes avec un sexe chromosomique XY naissent sans ovaires ni utérus. Elles ont pourtant l’air de femmes.
  •        La troisième : les organes internes. Prostate pour un homme, utérus pour une femme.
  •        La quatrième : les organes génitaux externes. Ce que l’on voit. Ce que l’on utilise habituellement pour déterminer le sexe d’un enfant.

S’il vous faut des chiffres, selon une étude scientifique rapportée par l’ISNA (Intersex Society of North America), un enfant sur 2000 naît sans que le médecin ne puisse dire d’après ses organes externes s’il s’agit d’un petit garçon ou d’une petite fille. Donc, nous parlons ici uniquement de la quatrième catégorie. Nous n’avons pas de chiffres pour les autres catégories. C’est compliqué, vous êtes peut-être XXY sans même le savoir.

...N'avez-vous pas le sentiment que ces catégories sont la source de tous les conflits? Conflits religieux, politiques, territoriaux (nationalité et sentiment national), droits de la femme, droits des homosexuels, ...
Je ne dis pas que tous les humains se valent, loin de là, mais je pense que la qualité d'un être humain ne se juge pas d'après ces étiquettes-là.

Tout ça pour dire que, la prochaine fois que vous vous présenterez à moi, sachez que ce qui m’intéresse, c’est votre personnalité, vos goûts, vos envies et vos rêves. Les paniers sociaux dans lesquels vous vous situez, j’en ai strictement rien à foutre.

1 Source : brochure « Parlons trans : à la frontière des genres », édition Association Aspasie et Espace 360, Genève.

Incohérence

Je t’emmènerai à Bruxelles où tu verras un immense missile décoller du sol à une vitesse phénoménale et y revenir aussi rapidement, dessus il y aura une publicité, voir combien de gens « aiment » sur facebook pour savoir de quoi il s’agit, tu iras voir sur ton PC, comme les autres 99'999 personnes en une minute.


Tu seras actrice. Travailleras dans le monde du spectacle, artiste itinérante.

Puis tu te feras enlever avec deux de tes cousins de quatre et trois ans par un restaurateur thaïlandais. Il les fera travailler, passer la serpillère dans l’arrière-salle. Tu auras une occasion de t’échapper, tu la saisiras avec un certain remords, il faut aller prévenir la tante, revenir les chercher.

Tu croiseras un japonais maître d’armes, lui raconteras ton histoire et il essaiera de t’aider en lançant des couteaux, ils volent ils tournent et puis se plantent dans les gens, « Mais non ça ne tue pas systématiquement regarde… Tu vois, il est juste blessé. », tu essaieras et ton couteau traversera la tête d’un passant.

Tu réaliseras que tu auras déjà rencontré ce japonais dans l’avion qui revenait du Club Med, et à force de discuter avec lui tu te tromperas de chemin et te retrouveras devant l’ancienne maison de ta tante.

Alors vous irez au Starbucks où tu croiseras John, après avoir bu un café, tu commanderas deux Chaï Latte glacés sans lactose, non un seul sans lactose, tu réaliseras alors qu’il n’y a pas de lait dans le Chaï Latte que tu as commandé et que le serveur sourit de ta bêtise.

Tu auras oublié de sauver tes cousins, ils le seront quand même mais pas grâce à toi ni à ta sœur, et elle et toi recevrez ce message : « Vous les avez abandonnés. Ils disent avoir l’impression d’avoir perdu leurs sœurs. »

Bonjour, c’est dimanche matin, il est 11 heures, et je suis ton rêve.

À la masse.

Je suis à la masse.

Totalement et à cent pour cent lunatique, de façon presque trop extrême, je peux avoir envie de rester au fond d’un caveau et ne plus me relever et quelques minutes plus tard, rire, danser, et chanter que la vie est belle.

Je n’ai aucune ambition, non, plutôt, mon ambition est fluctuante et je ne suis jamais à sa hauteur. D’ailleurs, je suis une adepte de la procrastination, et je suis d’avance épuisée lorsque j’imagine tout ce que j’ai à faire, tellement épuisée que même respirer me fait mal à la poitrine, alors je rentre en apnée quelques secondes, jusqu’à ce que cela m’épuise trop à son tour, je respire un grand coup, mes tensions se relâchent, mon corps s’affaisse, je ne peux plus bouger. Le problème, c’est le moment où cela s’arrête, où l’énergie se décide enfin à regagner mon corps. Tout ce temps perdu, je m’en veux, c’est terrible, encore plus de choses à faire, plus de choses à rattraper, cela m’angoisse encore plus, j’ai envie de me punir, je me mets tous les jours des résolutions que je n’arrive pas à tenir, tiens, une punition et tu repars, non, je ne veux plus me faire de mal, je me le suis promis. Parfois, lorsque je suis trop angoissée, il y a cette autre moi qui me rassure, je l’ai si souvent appelée, toutes ces fois où ceux sur qui je pensais pouvoir compter m’ont déçue ou abandonnée, on ne peut compter que sur soi-même, je me le suis tant répété que j’ai fini par me parler, me caresser la main, sécher mes propres larmes, me rassurer comme je le peux, dans cette dualité qui m’anime, ces mots qui m’envahissent, tu n’es pas seule, non, je ne suis jamais seule, je suis toujours avec moi-même.

Je suis tellement à la masse que je ne comprends pas ce que je devrais comprendre dans cette réalité, ça fait rire les gens, on dit que je suis blonde, d’ailleurs je suis la première à le dire, j’ai beaucoup d’autodérision. Et après, lorsque l’on prend le temps de discuter avec moi des sujets qui m’intéressent, j’entends dire d’un air presque surpris qu’elle est intéressante ou intelligente, je ne sais pas ce que veut dire intelligente, en tout cas je comprends beaucoup de choses, je suis vive d’esprit et très lucide. À nouveau, lorsque cela m’intéresse.

Le problème, c’est la notion de hiérarchie. Je peux laisser tomber tout ce que j’ai à faire dans la journée simplement parce que j’ai besoin d’aller voir l’eau, et cela est beaucoup plus important pour moi que le reste. Ou, plus régulièrement, m’asseoir face à mon écran et écrire pendant que les minutes s’engloutissent les unes derrière les autres, et c’est seulement lorsque mon texte est fini et que je me suis relue trois ou quatre fois que je regarde l’heure et réalise que je suis en retard à un rendez-vous.

Lorsque je serai grande, je vivrai dans un monde fictif. D’ailleurs, le monde réel est bien trop limité, les seules créatures intelligentes qui y habitent sont les humains, les chats, les dauphins et les fourmis, et en plus on ne peut même pas voler à moins d’avoir des ailes. Lorsque je serai grande… Je vais avoir 22 ans. Quand j’étais gamine, j’imaginais qu’à 23 ans j’aurais fini mes études, et que j’aurais mon premier enfant. Que tout serait différent dans ma tête une fois adulte. Et aujourd’hui, j’ai toujours l’impression d’avoir du sang elfique, de pouvoir communiquer avec les fleurs et que je vais bientôt recevoir une lettre de Poudlard pour aller faire l’école des sorciers.
Je n’ai jamais eu beaucoup de copines à l’école. Une ou deux, des amitiés presque trop fusionnelles qui ont brisé mon cœur d’enfant. Alors que les autres filles voulaient être grandes, se maquiller et avoir de jolis sacs pleins de marques, je lisais Amélie Nothomb et JK Rowling, je jouais à SuperMario64, à Zelda et aux Sims, je tenais assidûment un journal intime et j’écrivais des histoires fictives métaphoriques. En grandissant ce furent les mangas, les séries TV, Werber et Tolkien, les films de Miyazaki et les romans gores de Murakami, Japan Expo, les fêtes médiévales, mon premier roman, une quinzaine de blogs, le monde de Tim Burton, Kingdom Hearts sur PS2 et Prince of Persia sur PC, Death Note, Heroes, Nip/Tuck, tant d’univers irréels qui petit à petit m’ont construite, et ont d’une façon ou d’une autre influencé mon univers aujourd’hui, mon univers artistique, mais aussi celui qui structure mon cerveau et mes pensées.

Ce que j’appelle beauté est comme une énergie indescriptible qui anime uniquement certaines choses du monde réel. Des images peuvent être belles, des mots aussi, des émotions, des sensations, des idées, je crois que l’art recherche avant tout à conserver ces beautés un peu plus longtemps, à les capturer pour ne pas les perdre, en mêlant de façon habile la transposition, la création et la communication.
Je ne fais pas la différence entre les différentes émotions que cela me procure. Je peux être témoin d’atrocités et les trouver belles, être envahie de quelque chose de fort, plus fort que de la simple tristesse. La souffrance et la joie peuvent être aussi belles l’une que l’autre, pas systématiquement, loin de là, ce sont des émotions, des images fragmentées à capturer.

On peut me croire laxiste ou je-m’en-foutiste, c’est peut-être un peu le cas, je suis zen, distante, rien n’est important. Ou plutôt, ce qui est important pour moi est difficilement compréhensible pour quelqu’un qui vit dans le monde réel, et par monde réel, j’entends celui que la société a créé, est-ce le monde réel, cela reste fortement discutable.

Je n’arrive pas à m’adapter. C’est le constat d’un échec constant, répétitif et systématique. J’essaie pourtant, mais sans réelle conviction. Je ne suis pas à ma place.

Je vous l’avais dit, je suis totalement à la masse.

Réveil d'automne

Les yeux a peine ouverts et déjà le cœur qui s'emballe, une autre journée, toujours plus courte que les autres, je ne me suis pas démaquillée, le mascara colle mes yeux fatigués par mes cinq heures quotidiennes de sommeil agité, j'ai chaud, j'aimerais prendre une douche froide, pourtant c'est un début d'hiver, le soleil est timide, le froid saccage mes mains. J'aimerais tout apprendre, tout revoir, après quatre ans, pour la première fois ne pas jouer mon avenir au poker, je n'y arrive pas, je dois chercher mon courrier chez mon ex, la télécommande du lecteur bluray, mes instruments que je ne touche jamais, j'aimerais chanter, aller au sport tous les jours, je n'ai pas le temps, j'aimerais que les mails cessent de pleuvoir, c'est une tare ces mails, tout doit aller si vite, encore un café, je tremble, j'aimerais passer mon permis aussi, je n'y crois plus. Je sors un peu trop souvent, sans savoir ni pourquoi ni comment, je n'aime pas la nuit, les nuits d’hiver sont trop longues. J'ai des absences, mon corps qui s'arrête, mon cerveau aussi, lui surtout, je crois qu'il surchauffe, j'écris mais ça me prend trop de temps, j'ai à faire, et pourtant le reste est sans importance. Que vais-je manger ce midi, manger par habitude, par réflexe, sans saveur, depuis quand ne me suis-je pas assise a une table, déguster un repas préparé avec amour, comme je savais si bien les faire, mesdames les féministes, je suis née dans les années 90 et je rêve pourtant de cuisine et de foyer familial à entretenir, j'aime le second plan, être la bassiste, celle qui créé le lien entre la mélodie et la rythmique, je ne rêve pas de briller mais bien de regarder les étoiles, je rêve de lucidité, cette lucidité qui causera ma perte, je rêve d'être l'éternelle observatrice des beautés que le monde nous offre, je rêve de participer a l'œuvre humaine, toucher la beauté par la sincérité de mon être et de mon art, je devrais alors me couper de tout, me distancer de tout, des boîtes dans lesquelles la société nous enferme, j'aspire a la liberté. À l'amour aussi. Petit oiseau de nuit qui se frotte à mon cœur, découvre avec moi la lumière du jour, éloignons-nous des murs de bétons, du bruit, des mots et des maux, des autres et des obligations, coupons-nous du monde un instant, un plan d'eau, l'odeur des arbres, les animaux sauvages, comme dans les contes d'enfants, sois ma princesse du pays merveilleux, sans dragon ni méchante belle-mère, prends mes mains, blottis-toi contre moi, embrasse-moi.

Que tout soit calme, enfin.

Je suis étudiante.

Les études ne sont rien de plus qu’un gain de temps. Faisons l’effort de nous pencher sur la question, en-dehors de ces sessions d’examens durant lesquelles ce n’est jamais le bon moment, durant lesquelles l’immobilité qu’elles m’imposent face à mon écran me forcent à méditation, durant lesquelles je deviens l’esclave de mon inspiration, si vicieuse quand elle veut.
Bon. Le marché de l’emploi, en ce moment, ça craint un max. On est d’accord. Du coup, il vaut mieux attendre quelques années avant de s’y frotter. L’atmosphère y sera peut-être plus respirable. Peut-être moins aussi. Les études sont un gain de temps, des œillères pour ne pas faire face à cette réalité-là.
De plus, il faut bien l’avouer, un ou deux diplômes, sur un CV, c’est toujours bénéfique.
Et puis, la psychologie reste tout de même une discipline absolument fascinante ; disséquer le fonctionnement du cerveau humain, entité aux limites encore inconnues, malléable et expansible à souhait, et surtout ses disfonctionnements, approcher les fondements non-fondamentaux de la folie, réaliser le lien étroit qui l’unit au processus créatif, les fous font les meilleurs artistes.

Cependant, lorsque je me pose la question de la réussite, cette question qui hante la bouche et l’esprit des occidentaux stressés, lorsque je me demande : Pourquoi réussir ? ou plus exactement : Pourquoi me plier aux exigences académiques, aux amorces d’une société individualiste et compétitive, une société qui représente tout ce qui m’abjecte ?, la réponse est aussi simple qu’effrayante : Pour partir en Erasmus en Italie l’an prochain. En d’autres termes, fuir ici ce que je crois naïvement ne pas retrouver ailleurs, me rapprocher de racines que j’ai gardées trop longtemps enfouies, espérer un cadre plus humain, plus authentique, des rencontres plus simples, plus chaleureuses aussi, me rapprocher de la mer, des oliviers, des vignobles, des vraies tomates, celles qui ont du goût, et toutes ces choses simples qui enveloppent mon âme d’un halo de sérénité.

Des citations, en ce moment, il m’en tombe à la pelle. Hier celle-ci : Chacun de nous passe de longues périodes au cours desquelles il n'existe absolument pas mais se borne à feindre d'exister. (Thomas Bernhard) Ou encore aujourd’hui celle-là : Le meilleur de la vie se passe à dire «Il est trop tôt», puis «Il est trop tard». (Gustave Flaubert)
Mes yeux ne sont-ils qu’attirés par ce qu’ils veulent bien voir, ou la vie essaie-t-elle clairement de me faire passer un message ?
J’ai systématiquement cette culpabilité, pesante, de ne pas consacrer assez de temps à l’écriture. C’est vrai, si j’étais payée pour cela, j’écrirais du matin au soir, peut-être même du soir au matin. Toujours de quoi écrire à portée de main, je m’attellerais à ma tâche favorite : observer et consigner.
Toute expérience est bonne à prendre, car tout est intéressant lorsque l’on sait observer, et donc tout est potentiellement source d’inspiration à l’écrivain que je suis. Je dis l’écrivain que je suis à escient, car ce n’est pas un métier, ni quelque chose que je voudrais faire de ma vie, c’est une part de moi, bien existante, une part énorme, peut –être même la plus importante, c’est qui je suis, qui j’ai été, et qui je serai, éternellement. Quoiqu’il m’arrive, que ce soit dans ma vie privée ou professionnelle, je continuerai à écrire, Nulla Dies Sine Linea, c’est un choix sans en être un, c’est vital, c’est une obligation, une chance inouïe, d’avoir cette faculté-là, cette facilité-là, cette fluidité-là, j’ai besoin d’écrire, pour moi, pour les autres aussi, pour vous.
Les études sont pour moi un peu plus qu’un gain de temps. Elles sont une expérience, non, une foule d’expériences, une quantité effroyable de connaissances passionnantes dont ma plume s’abreuve pour nourrir mon imagination.

De mon avenir, je n’ai qu’une seule certitude : tant que mon cerveau fonctionnera, j’écrirai.

Désillusion

J’ai les entrailles qui bouillent, le cerveau qui éclate. Que fais-je ici ? Je ne suis pas à ma place. Cette vie ne m’appartient pas. Je me regarde m’obstiner à contrer l’échec permanent qui me provoque, m’obstiner à essayer d’être comme tout le monde, à m’adapter, à vivre, mais la vérité c’est que je me vomirais dessus tant je me dégoûte. J’ai perdu toute notion de sensibilité, je n’aime plus, je ne savoure plus, je ne souffre plus. Je regarde l’étui qui contient ma plume et me force à l’y laisser, elle qui m’appelle, elle, ma seule compagne digne d’intérêt. J’ai perdu le sommeil, j’ai perdu le désir, la passion, le goût. L’alcool et le sexe sont devenus mes compagnons de guerre. Me voilà, glaciale et prudente, découvrant avec amertume mon reflet dans la glace, celui de celle qui est devenue une femme, une femme séduisante, mais dont la beauté n’est que façade autour d’une âme en cendres.

Désillusion. Tel est le fardeau auquel la société contraint ma génération. Nous sommes les enfants de ceux qui ont réussi, ceux-là même qui nous paient des études qui nous mèneront droit à l’échec. Nous sommes les enfants de ceux qui ont aimé et dont le mariage a capoté, ceux-là même qui nous espèrent un destin différent. Qu’imaginent-ils ? Nous avons découvert le sexe via internet, nous avons découvert le mariage via l’échec du leur, et même les contes de fées ne parlent plus d’amour. Nous sommes les enfants de ceux qui portent en eux l’espoir que nous changerons le monde pourri qu’ils nous ont laissé. Nos aînés sont utopiques, ils ont l’illusion et la naïveté de croire que nous serons meilleurs qu’eux. Malheureusement, nous sommes trop réalistes.

Je devrais avoir la conscience tranquille, je fais exactement ce qu’on a toujours attendu de moi. J’ai des cernes jusqu’au sol, ma tête me fait mal et mon dos également, à force d’être assise à mon bureau à réviser. Réviser. Je me plie aux exigences académiques qui m’ont toujours fait fuir. Si notre rôle est réellement de rendre le monde meilleur, quel est l’intérêt de faire ses preuves ? Quel est l’intérêt de cette compétitivité absurde ? Allions-nous, mettons en œuvre nos connaissances, nos apprentissages, prenons-nous par la main, par l’épaule, et proposons ensemble des solutions pour réparer cette société dépérie. Confrontons nos idées dans le respect mutuel. Nous ne sommes pas les uns contre les autres. Nous sommes les uns avec les autres. Que vous faut-il pour vous en rendre compte ? Une autre série de drames et catastrophes ? Pourquoi ne devrions-nous faire preuve de solidarité et de respect que dans les moments difficiles ?

Je n’ai pas la conscience tranquille. Que serai-je demain ? Jetée dans un panier, dans une catégorie. Celle d’en haut. Celle d’en bas. Si je réussis, je serai plus compétitive sur le marché du travail. Qui sommes-nous pour juger de la valeur d’une personne d’après un papier ? Et surtout, pourquoi ce besoin vital de classer et catégoriser les individus ? Je ne veux pas être mieux que les autres. Je ne veux pas être pire. Je ne veux pas être contre eux. Je veux être avec eux. Avec ma génération qui a subi les mêmes désillusions que moi. La course vers le pouvoir est le fléau de l’humanité.

Toutes les histoires se ressemblent.

Au final, toutes les histoires se ressemblent. Il y a systématiquement cet arrière-goût de déjà-vu, amer, répétitif, ennuyant à crever. À quoi bon l’introspection ?
Et puis en même temps, quelle source d’inspiration inépuisable, on ne compte plus les histoires d’amour, les romans d’amour, les chansons d’amour, les déclarations d’amour, comment vont les amours, l’amour, l’amour, je le vomis, ça me débecte. C’est pourtant toujours pareil, mais voyons les choses en face, je ne suis qu’une victime parmi d’autres. Rétrospectivement, cela va faire dix ans que j’écris, et dix ans que ma plume s’abreuve d’encre pourpre.
Rester terre à terre ? C’est encore plus déprimant. Non, puisque l’on sait comment cela terminera, laissons la passion nous dominer, nous emporter, perdons le contrôle, une fois de plus, un autre voyage, sans réflexion(s), juste ressentir, rebondir, vivre, aimer, viscéralement, comme l’on connaît, comme l’on ne sait toujours pas décrire après mille histoires d’amour, mille romans d’amour, mille chansons d’amour, mille déclarations d’amour…

Silence. Stop.

Triste constat que celui de mon silence. Lorsque mon esprit engourdi par un sommeil inassouvi bloque ...
Non. Bloquer n'est pas le bon terme. Bloquer me bloque, c'est évident à m'en paralyser les doigts. À m'en glacer la voix.
J'aime prendre le temps de m'ennuyer. Le temps de méditer. La vie ne m'en laisse plus l'occasion ces temps-ci. Tout bouge. Trop vite. Ma vie est un café un peu trop corsé.

Triste constat que celui de mes limites. Je ne peux accorder autant d'attention que je le souhaiterais à ce qui le mérite, à ceux qui le méritent.

J'étais cette feuille morte déposée sur l'eau, que seules quelques ondes aquatiques venaient troubler. Me voici emportée malgré moi dans le tourbillon des vents, déchiquetée, épuisée, frêle, inapte, silencieuse.
À quand la trêve?

Des maux choisir mes mots.

Sais-tu depuis combien de temps je n’avais plus pleuré à m’en détruire les yeux, depuis combien de temps je n’avais pas eu l’audace d’être un instant déraisonnable, depuis combien de temps je n’avais pas laissé mon corps dominer ma pudeur, mon cœur dominer ma raison ?

Flashes. Ma mémoire est teintée d’instants pris sur le vif, des photographies d’émotions, qu’elles seules peuvent susciter. Les connexions établies par mes neurones sont intemporelles, elles n’ont pas d’âge, seule la puissance de l’instant détermine la force du souvenir. Ce qui est fascinant, c’est que chaque activation déclenche une copie imparfaite, disproportionnée, de l’émotion ressentie lors de l’événement rappelé.

Comment pourrais-je t’en vouloir ? Tu m’as réveillée. Réveillé une âme endormie par un quotidien terne et monotone. À vrai dire, c’est exactement ce que je cherchais. Ce qui a de premier abord suscité mon intérêt. Ton instabilité a été le moteur de notre histoire. À l’image d’un électron libre, elle nous a attirés et repoussés l’un et l’autre à tour de rôle. Tout est implicite, tout est explicable. Mon âme, plus torturée encore que la tienne, a disséqué chaque parcelle de toi, de moi, de nous. L’inspiration m’habite de manière constante. Je n’ai jamais autant écrit que depuis notre rencontre, depuis notre rupture. C’est douloureux, et tellement bon à la fois. La question n’est même plus de savoir si j’ai aimé un homme ou simplement l’image que je m’en faisais. Ce que j’ai aimé, c’est me sentir vivante. Ce sentiment qui persiste encore aujourd’hui. Ce que j’ai aimé, c’est accepter de perdre le contrôle. Être jeune. Puissante. En vie. Ivre d’amour, ivre de bonheur, de tristesse, de rage. Ivre. La tête qui tourne, les pieds qui décollent.

C’est maintenant que tout commence.

Passionnel interlude

Mon cœur est un lotus que tu effeuilles pétale après pétale de tes dents acérées. Et le pire, c’est que j’aime ça. J’aimerais avoir la chair à vif, te donner toutes les armes blanches capables de me poignarder, de m’éviscérer, les poignards, les couteaux, les épées, les sabres, les dagues, les serpes, et même la faux de notre dangereuse amie. Si l’amour était un jeu, alors je te donnerais une à une mes meilleures cartes, je te donnerais le pouvoir de m’asséner d’une soudaine quinte flush qui me ferait perdre tout mon tapis. Je suis en train de contraindre ma reine, mes fous, mes cavaliers et mes tours à s’éloigner de mon roi, je te laisse l’opportunité de me faire un échec et maths. 

Me voici, tes traits à l’esprit, ton odeur sur le corps, me forçant à me mettre à nu, désirant de tout mon être subir la foudre de la passion, seule étoile dans le ciel obscur qu’est ce monde. Je veux de la violence, de la tendresse, je sais que tout se termine un jour, je le sais trop bien, et c’est ça qui est bon, car ce qui a une fin a toujours plus de saveur. Je veux profiter de chaque seconde en ta présence, abreuver ton parfum, soutenir ton regard, je veux te donner, je veux me donner, je veux que tu m’embrasses à n’en plus t’arrêter. Que tu me fasses l’amour dans ce sublime paradoxe qui t’entoure, la tendresse du transi, le vice de l’amant, ton sourire en coin qui me fait fondre, tes yeux malicieux qui me brûlent. Je veux te sentir en moi, te posséder, t’avaler, fusionner mon corps au tien, je veux perdre ma faculté de penser, je veux une overdose d’orgasmes.

La Blonde

Laissez-moi vous parler de la Blonde. Non, pas la Barbie, ni la Marilyn, pas l’une de ces poupées glaciales au visage figé, au corps pulpeux et sulfureux, celle qui réveille votre libido le temps d’une soirée.

Non. Celle dont je veux vous parler pourrait être comparée à un champ de blé une matinée d’automne, en-dessous d’un ciel qui annonce l’orage. La Blonde est jeune, elle est fraîche, et n’est jamais plus belle qu’au matin, les cheveux décoiffés, le teint hâlé, les yeux brillants, arborant l’immense sourire qui la caractérise. La Blonde a des imperfections, certes. Mais elles lui vont si bien qu’on ne peut l’imaginer sans elles. La Blonde est légère, sincère, elle a de la conversation, et par sa présence elle vous fera oublier les fléaux d’une société au quotidien grisâtre.

C’est en cela que la Blonde est dangereuse. Elle attrapera des cœurs dans sa course, souvent involontairement, des cœurs qui parfois n’étaient pas libres. Elle déclenchera des orages conjugaux sans même en avoir conscience. La Blonde a des ennemies qu’elle ne connaît même pas.

Mais ne vous inquiétez pas, Mesdames, la Blonde n’est que le rêve d’une liberté oubliée. La vérité est plus forte que le rêve, la Blonde n’aura fait que voler un morceau de cœur à ceux qui s’ennuient, mais qui sont trop craintifs pour bousculer leur vie. La Blonde est une passade, simplement un rayon de lumière dans les ténèbres.

Que se passe-t-il lorsque la Blonde tombe amoureuse ? Personne ne se soucie de ce que ressent la nymphe. Ce qu’elle vous apporte est tout ce qui compte. Laissez-moi vous dire ce qu’il se passe lorsque la Blonde tombe amoureuse. Lilith se meurt pour laisser Eve naître de ses cendres. La libérée laisse place à la soumise. Elle cesse de courir. La Blonde est entière et sincère, tant et si bien qu’elle est transie. Malheureusement pour elle, personne ne veut vivre dans le rêve. Elle restera une passade. On ne fait pas sa vie avec une Blonde.

L'aurore.

L’aurore est le moment que je préfère de la journée. Spécialement le dimanche. Je me réveille, m’enveloppe d’une couverture, et vais m’asseoir dans la fraîcheur de l’aube. Mes pieds nus caressent le sol, sentent sur l’herbe la rosée du matin. Tous les mauvais sons sont étouffés. Seuls restent le bruit du vent au travers des arbres, les chants des oiseaux, il y en a tant, je ne peux tous les reconnaître. La voix rauque du corbeau perce les mélodies des plus petits qui se poursuivent devant moi. Il existe un chant, caractéristique du matin, qui a le don de me faire plonger dans les souvenirs de mon enfance, lorsqu’à Sa Riera, j’ai découvert le pouvoir apaisant de l’aurore. Comme il est agréable de se lever lorsque le monde des hommes est endormi, sortir et se retrouver seule face à la nature, tous ses sens en émoi. Je me couchais sur la terrasse, écoutais le chant de cet oiseau, sentais le vent frais sur mon petit corps, jusqu’à ce que le soleil perce le ciel derrière la montagne. Seul se réveillait ces matins-là mon grand-père, qui, dans la maison, préparait le thé pour la famille (thé qu’il faudrait de toute façon refaire au moment du petit déjeuner car il serait devenu froid) et s’asseyait ensuite dans le canapé avec ses mots croisés (s’il était là, nous aurions une longue conversation pour savoir s’il faut dire « dans » ou « sur » le canapé…). Puis lorsque se levait ma mère, elle aussi sortait sur la terrasse, fumer sa cigarette dans l’air doux du matin, face à la mer. Une question alors revenait sans cesse au petit déjeuner : « est-ce qu’il y a des moutons aujourd’hui ? » A savoir, comment se présentait la mer. Serait-ce une journée calme, le vent partant dans la direction opposée de la plage, une journée où l’on trempe ses orteils dans l’eau plate, on la trouve trop froide, on y entre doucement, avant de s’allonger au soleil. Ou au contraire, serait-ce une journée agitée, celle que les enfants préfèrent, le vent se dirigeant droit vers nous, créant ces magnifiques cimes de vagues que nous appelions « moutons », et dans lesquelles nous pourrions sauter et jouer pendant plusieurs heures.

L’aurore m’évoque tout cela et plus encore. J’entends le bruit d’une voiture, une seule. Rien à voir avec le bruit de la ville, ces voitures qui se courent après, qui démarrent, s’arrêtent, un feu rouge, un bouchon, de la fumée, des klaxons. Non, une seule voiture. Cela me rappelle la campagne, une maison isolée, lorsque le bruit d’une voiture signifie que la personne que l’on attendait arrive. Tout le monde sourit, le voilà, les plus jeunes se lèvent, accourent, c’est une série d’accolades, comment vas-tu, on a tant de choses à se dire, non, laisse les valises on s’en occupera après, viens le déjeuner est presque prêt, nous voilà tous autour d’une table, un verre de vin à la main, à se raconter les dernières anecdotes, les derniers ragots. Les enfants courent, jouent, rient, attention ne grignote pas trop, le repas arrive, cela dit sans aucune crédibilité car l’instant est trop précieux pour s’occuper des soucis qui rappellent le quotidien.

La douceur sereine de l’aurore.

J’en arrive presque à vouloir un enfant, peu importe son âge, son sexe, je l’assiérais à côté de moi, je lui dirais écoute, regarde, sens, respire, laisse tes sens s’éveiller, tu vois, c’est ça la vie.

Spleen

Mélancolie. n.f. (XIII; bas lat. melancholia, gr. melagkholia « bile noire, humeur noire »). (…) 3° Cour. (XVIIe) État d’abattement, de tristesse, accompagné de rêverie. V. Tædium Vitæ, spleen. (…) « La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste » (Hugo).

Tout est dit. La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. La sérénité d’observer la ligne droite de l’horizon, un léger vent laissant se hérisser les poils de la nuque, le cliquetis des mats des voiliers, l’odeur fraîche de la rosée du matin, le silence de l’aurore. Et puis écouter son corps, son cœur, sentir ses entrailles qui se tordent, la poitrine douloureuse, la pression sanguine qui s’accentue jusqu’aux tempes, les veines saillantes, les muscles tendus. Et c’est alors que la mélancolie arrive. La mélancolie, c’est accepter la douleur. La laisser sortir, s’échapper. Laisser les larmes couler, les jambes tituber, le corps trembler. Souffler la haine, la colère, la frustration, le tourment. Respirer la liberté. Celui qui accepte sa tristesse est un homme libre. À partir de ce moment, ce n’est plus la tristesse qui le domine, c’est lui qui domine sa tristesse. La mélancolie, c’est une tristesse sereine.

Le mélancolique n’est pas dépressif. Contrairement à celui-ci, il n’est pas tourmenté. Il n’est pas pessimiste, il est réaliste. Le mélancolique n’est rien de plus qu’un homme placide qui, lorsque de mauvaises choses lui arrivent, accepte la fatalité.

Délires

Et ainsi, mes délires recommencent.

Mes yeux se perdent dans les spirales bleues de la fumée de ma cigarette, mon souffle se fait court, saccadé, mon ventre se crispe, et bientôt je sens sur mes lèvres le goût salé des larmes qui perlent sur mon visage.

Oscar Wilde a dit : « A celui qui veut faire de la vie un art, le cerveau tient lieu de cœur. » 

À dire vrai, pour ma part, ce serait plutôt le cœur qui tient lieu de cerveau. Réciproquement, je devrais vouloir faire de l’art une vie. Ma vie. Il est vrai que j’ai l’amour de l’art, peut-être d’avantage que l’art de l’amour. Pourtant, ce n’est pas faute d’aimer. C’est bien cela mon problème : j’aime trop. J’aime à donner, à tout donner, jusqu’à mon âme. Ma solitude n’est qu’un brouillon, une ébauche d’une vie que je n’aspire qu’à partager. J’ai trop d’énergie, trop à donner, j’en perds la tête, la mémoire, et paradoxalement je suis emplie d’un trop-plein de lucidité, les mots m’échappent, vite, les poser avant qu’ils ne s’envolent, un papier, un crayon, et voilà, mon âme se perd dans les spirales de ma plume, mon souffle se fait court, saccadé, et ainsi, mes délires recommencent.

Le feu de décembre

Le temps me poursuit et il est plus rapide que moi. Autant dire que le mien s’est arrêté au temps des neiges. Ce jour de décembre où mon regard s’est perdu dans les flammes qui réchauffaient mon visage, qui réveillaient mon cœur de glace. Danse du feu, danse macabre, funeste instant où j’ai réalisé l’effroyable paradoxe de t’aimer et de te perdre à la fois. Chacun son chemin, le même support, le même cœur à l’ouvrage, mais deux villes, deux espaces, deux mondes éloignés l’un de l’autre. Une toile, fil invisible qui depuis me relie à toi, à ton talent, à nos similarités, à ta plume. Quelques souvenirs, marqués depuis cette date au fer rouge en moi, et qui se réveillent lorsque je croise celui qui te ressemble au détour d’une avenue.
Le temps est plus fort que moi, je poursuis un rêve, une utopie, et me perds dans la spirale de la réalité, cette spirale qui voudrait m’empêcher d’ouvrir mes yeux, mon bras, mon âme, je me bats pour faire survivre ma plume dans un monde qui voudrait l’empêcher de vivre, pour ce double-ego à tendance schizophrène.
Et parallèlement, j’assiste depuis l’autre côté de la Terre à ton lent déclin, je vois ta réalité étouffer la part de toi que j’ai réveillée avec patience il y a plusieurs années. Tu vis, tu aimes, le temps t’a rattrapé, quel gâchis. Ne pas vouer à ton talent la patience qu’il mérite.
Je suis sous les braises du feu consumé de décembre. Comme elles, je suis endormie. Je vis, j’aime, dans une semi-somnolence qu’aucune passion ne réveille. Seuls les mots ont le pouvoir de me réveiller. Les miens. Les tiens. Écris. Réveille-moi.

Éphémère.

Je ne demande qu’une journée… Une journée pour perdre le contrôle que j’exerce sans cesse sur tous mes faits et gestes. Une journée pour laisser libre cours à ma souffrance, pour la laisser m’envahir, pour m’abreuver, avaler, engloutir ce que je peux et surtout me vider de tout ce que je ne veux pas. Me vider de la haine, de la tristesse, de la rancœur, du doute, de l’incertitude, de la colère, du mépris, du rejet, de la fureur, du dégoût, et toutes ces choses qui laissent murir la noirceur de l’âme. Pendant une journée, pouvoir être imprévisible et impulsive. Une journée pour verser des larmes d’eau, des larmes d’encre, des larmes de sang. Une journée pour être une épave, une poubelle qui se laisse tomber dans la déchéance, une journée pour laisser mes barrières se briser, la tentation s’infiltrer, le vertige se noyer, le vice s’exprimer. Une journée pour vomir tout ce que mon cœur garde en son sein depuis trop longtemps.
Laissez-moi une journée… Une journée que vous oublierez… Car le lendemain, je redeviendrai princesse de glace à l’élégance surveillée.

Lettre d'amour à ma Plume.

J’écris, et je m’aventure aux confins du non côtoyé, de l’imaginaire, je fréquente les fantasmes les plus saugrenus, les enfantins, les fantastiques, les lascifs, les pervertis, les dépravés, les sordides, les inavouables. Je voyage dans une infinité de mondes dont la taille est telle qu’elle ridiculise celle du nôtre. Je m’inspire de l’étroitesse de la réalité pour modeler à mon gré celle de mon esprit. Dans cette infime particule que je suis au sein de l’Univers, se trouve une entité plus grande encore, où tout est possible, où rien n’est interdit. Ici, tout est mobile et indéfini. Parfois, il est vrai, je m’y perds, les chemins ne sont pas balisés. Heureusement, j’ai une compagne de route qui me permet d’exprimer cet amas hétéroclite, une page blanche pour support. Ma plume. Mais elle est capricieuse. Elle me fait faux pas lorsque j’en ai le plus besoin, et mes mots deviennent fades, inexpressifs, manquent de sel, de piment (que dis-je, de sucre !), je bafouille. A toi, ma chère plume, laisse-moi te dire ceci : Je suis bien consciente de ne pas t’accorder autant de temps que tu le mérites, je sais que bien trop souvent, hélas, nous nous perdons de vue. Pourtant, tu es ma meilleure alliée, tu es celle qui me fais rêver, mais aussi l’épaule sur laquelle je déverse mes larmes d’encre. Tu es mon poing brandi vers l’avant, vers l’avenir. Tu es la compagne de mes souvenirs, la compagne de mes désirs, de mes projets et de toutes mes ambitions. Tu es même, depuis quelques temps maintenant, une amante toute particulière. Tu es celle avec qui je veux partager ma vie, mais tu le sais autant que moi, cette société nous contraint à un amour difficile. Pour l’instant, je me dois de m’adapter à cette réalité que tu détestes tant, mais je te demande une chose : attends-moi, ne m’abandonne pas, reste ma maîtresse occasionnelle encore quelques temps, et je te reviendrai, entière et promise.

Sublimes Paradoxes

Je bouillonne de froid.
Rejette le désir.
M’extasie d’ennui.
Savoure l’exécrable.
Admire l’ordinaire.

J'avoue l'inavouable et pardonne l'impardonnable.

Une faille

Je rêve d’un monde immobile. Je pourrais à mes aises marcher au milieu des rues silencieuses, pieds nus sur le goudron tiédi par un soleil aux rayons figés. Comme dans un arrêt sur image, les gens seraient immobilisés, les plis de leurs vêtements trahissant la précipitation avec laquelle ils se mouvaient avant l’incident. Je m’attarderais sur leurs regards emplis de stress, de doutes, souvent de vide. Puis lassée de toute cette masse humaine, je les dégonflerais comme des ballons en posant simplement mon doigt sur leur fine membrane.
 Tout en courant pour les faire disparaître plus vite, je réaliserais que mes pas n’émettent aucun bruit lors de leur contact avec le bitume. J’aurais l’impression de flotter à quelques centimètres du sol. J’essaierais de crier, en vain, aucun son ne sortirait de ma bouche. J’observerais ensuite curieusement une ville sans âme, son inutilité me fouettant le visage. Je me baisserais pour toucher ce goudron sur lequel j’aime tant marcher, je me dirais qu’ici n’est pas sa place, pas plus que celle de tous ces immeubles de béton. J’observerais un carré herbé et arboré. Une ville où une parcelle de verdure perce le bitume, lorsque celui-ci ne devrait que parsemer celle-là. Sous cette couche de civilisation, la nature étouffe, la nature se meurt.

Révoltée, dégoûtée de l’essence humaine, je détruirais toute cette masse bétonnée dans un chaos silencieux.



Puis le temps reprendrait son cours et la nature sa place. Rapidement, une herbe verte et fraîche apparaîtrait sur les ruines de la ville, de jeunes pousses d’arbres s’installeraient ici et là, une immense variété de fleurs recouvrirait le paysage. Un jour, les petits animaux des contrées lointaines migreraient dans l’ancienne ville, lui apporteraient vie et sons, et après plusieurs années, les ruines auraient l’allure d’un jardin d’Eden.

Aphrodite

Doux Eros, de ta tendresse et ta douceur
En chaque instant je me languis.
Les minutes sans toi paraissent des heures,
À tes côtés la flamme rugit.

Himeros ardent, par ta chaleur et ta fureur,
Avouons-le, tu m’enhardis.
De la fougue et du vice tu as la couleur,
À ta rencontre je frémis.

Vil Pothos, des trois Érotes tu es le pire.
La distance te rend voleur.
De tes mots et tes gestes le souvenir
Éprouve mon corps et mon cœur.

Calembour

Mes désirs sont désordre.
 
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