Un homme

Tu étais la liberté. Le vent contre ma nuque, la Ducati, la vitesse, le petit coup de casque, mes mains sur tes cuisses. Tu étais l'inconscience de la jeunesse.
Tu étais le sourire que je parvenais à saisir, tu étais le reflet de la douleur dans tes yeux noirs, tu étais la douceur lorsque mes doigts glissaient dans tes cheveux au parfum ambré.
Tu étais l’Italie. Le drapeau autour de ma taille ou flottant à travers la vitre d’une vieille voiture. Sei bella, amore mio. Tu étais la famiglia qui me ressemble. Non ti preoccupare. Au téléphone avec la Nonna ou le Nonno. Tu étais les figues de ton père, la prestance de ta mère.

Les souvenirs comme une claque dans la gueule. J’avais tout oublié. Même écrire m’écorche l’âme.

Tu étais mon avenir. Les enfants que nous ne connaîtrons jamais.
Tu étais le goût des poivrons, la terre sous mes pieds, les oliviers, la montagne, la mer, le soleil.
Tu étais les lettres, les mots. Tu étais le petit ventre de celui qui sait apprécier les bonnes choses.
Tu étais un soleil japonais et des fleurs de lotus.
Tu étais Batman.
Tu étais un chapeau de paille.
Tu étais le café.
Tu étais une dent tordue et un sourire en coin.
Tu étais une guitare à la corde cassée.

Tu es l’homme de ma vie. A jamais.

Le point de non-retour.

Vers minuit, lorsque l’on commande un énième Gin Tonic. S’arrêter maintenant ou continuer. S’arrêter maintenant, rentrer et se lever frais le lendemain matin pour aller bosser. Ou continuer. On le sait, c’est cet instant décisif où l’on se trouve en déséquilibre sur le fil du funambule, de quel côté tomber, on connaît le risque, perdre le contrôle est un choix.

Le point de non-retour, après une énième étreinte. S’arrêter maintenant ou continuer. S’arrêter maintenant, ne plus se revoir, et continuer sa vie, ses projets solitaires. Ou continuer. Et tomber amoureux. On le sait, c’est cet instant décisif où l’on se trouve en déséquilibre sur le fil du funambule, de quel côté tomber, on connaît le risque, perdre le contrôle est un choix.

J’ai commandé un autre Gin Tonic, je suis rentrée à trois heures du matin.

On se lève trop tard, on tente de cacher ses cernes. Crèmes, maquillage, gel, dentifrice, rasoir, parfum, shampoing, peigne. Apparences.

Entre les draps, il y a des traces de sperme et de sang.

Quels que soient la qualité des draps, la beauté de la chambre, le luxe de l’appartement, les traces restent les mêmes.
Que l’on porte une Rolex, des louboutins, que l’on soit artiste, banquier ou chômeur, que l’on soit littéraire ou doué en cuisine, on est tous faits pareils. Nus, on ne peut tricher. Les mêmes poils sur les jambes, les mêmes mamelles, les mêmes mouvements de va et vient lorsque l’on copule, la même merde dans les intestins. On a beau essayer de sublimer cela, croire aux notions abstraites comme l’Amour et le Pouvoir, comme l’Argent et l’Intelligence, la réalité c’est que nous ne sommes rien de plus que la dernière étape de l’évolution, des animaux juste un peu plus complexes que les autres.

Des animaux. Je me lave, gratte ma peau avec acharnement, j’enlève les poils de mes jambes, de mes bras, j’emplis ma bouche de dentifrice, je frotte, je crache, je sors le mucus de mes naseaux, je pisse, je crache encore, je vomis, je me saigne, je me nettoie de l’extérieur, de l’intérieur, je masse mes épaules, mes hanches, mes muscles, je fais sortir les toxines. Je veux être pure, propre, blanche, vide. Je me sèche, m’habille de vêtements propres, leur douceur sur ma peau, je respire.

Je suis auteur érotique. J’ai toujours trouvé cela paradoxal, jusqu’à ce que je comprenne que c’était une façon inconsciente de sublimer ce qu’il y a de plus bestial en l’Homme. De rendre le Sexe noble, abstrait, artistique.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.