L’aurore
est le moment que je préfère de la journée. Spécialement le dimanche. Je me
réveille, m’enveloppe d’une couverture, et vais m’asseoir dans la fraîcheur de
l’aube. Mes pieds nus caressent le sol, sentent sur l’herbe la rosée du matin.
Tous les mauvais sons sont étouffés. Seuls restent le bruit du vent au travers
des arbres, les chants des oiseaux, il y en a tant, je ne peux tous les
reconnaître. La voix rauque du corbeau perce les mélodies des plus petits qui
se poursuivent devant moi. Il existe un chant, caractéristique du matin, qui a
le don de me faire plonger dans les souvenirs de mon enfance, lorsqu’à Sa Riera,
j’ai découvert le pouvoir apaisant de l’aurore. Comme il est agréable de se
lever lorsque le monde des hommes est endormi, sortir et se retrouver seule face
à la nature, tous ses sens en émoi. Je me couchais sur la terrasse, écoutais le
chant de cet oiseau, sentais le vent frais sur mon petit corps, jusqu’à ce que
le soleil perce le ciel derrière la montagne. Seul se réveillait ces matins-là
mon grand-père, qui, dans la maison, préparait le thé pour la famille (thé qu’il
faudrait de toute façon refaire au moment du petit déjeuner car il serait
devenu froid) et s’asseyait ensuite dans le canapé avec ses mots croisés (s’il
était là, nous aurions une longue conversation pour savoir s’il faut dire « dans »
ou « sur » le canapé…). Puis lorsque se levait ma mère, elle aussi
sortait sur la terrasse, fumer sa cigarette dans l’air doux du matin, face à la
mer. Une question alors revenait sans cesse au petit déjeuner : « est-ce
qu’il y a des moutons aujourd’hui ? » A savoir, comment se présentait
la mer. Serait-ce une journée calme, le vent partant dans la direction opposée
de la plage, une journée où l’on trempe ses orteils dans l’eau plate, on la
trouve trop froide, on y entre doucement, avant de s’allonger au soleil. Ou au
contraire, serait-ce une journée agitée, celle que les enfants préfèrent, le
vent se dirigeant droit vers nous, créant ces magnifiques cimes de vagues que
nous appelions « moutons », et dans lesquelles nous pourrions sauter
et jouer pendant plusieurs heures.
L’aurore m’évoque
tout cela et plus encore. J’entends le bruit d’une voiture, une seule. Rien à
voir avec le bruit de la ville, ces voitures qui se courent après, qui
démarrent, s’arrêtent, un feu rouge, un bouchon, de la fumée, des klaxons. Non,
une seule voiture. Cela me rappelle la campagne, une maison isolée, lorsque le
bruit d’une voiture signifie que la personne que l’on attendait arrive. Tout le
monde sourit, le voilà, les plus jeunes se lèvent, accourent, c’est une série d’accolades,
comment vas-tu, on a tant de choses à se dire, non, laisse les valises on s’en
occupera après, viens le déjeuner est presque prêt, nous voilà tous autour d’une
table, un verre de vin à la main, à se raconter les dernières anecdotes, les
derniers ragots. Les enfants courent, jouent, rient, attention ne grignote pas
trop, le repas arrive, cela dit sans aucune crédibilité car l’instant est trop
précieux pour s’occuper des soucis qui rappellent le quotidien.
La douceur
sereine de l’aurore.
J’en arrive
presque à vouloir un enfant, peu importe son âge, son sexe, je l’assiérais à
côté de moi, je lui dirais écoute, regarde, sens, respire, laisse tes sens s’éveiller,
tu vois, c’est ça la vie.