Pourquoi le sage a-t-il les yeux fermés?

Représentation d’un bouddha aux yeux clos. En est-il toujours ainsi ? Du moins est-ce ce que ma mémoire me dit.

Cela signifie-t-il que le voyage intérieur est le plus sage ? Ou qu’après avoir suffisamment observé le monde, il convient de l’intérioriser pour mieux en déceler le fond ? Le sage aux yeux fermés est-il d’un niveau supérieur au sage aux yeux ouverts ? A-t-il suffisamment observé le monde  pour le connaître par cœur ?
Qu’en est-il alors du changement ? Est-ce que le changement qui s’opère au cours de la durée d’une vie humaine est suffisamment négligeable pour ne pas devoir l’observer ?
Qu’en est-il de la beauté que la nature nous offre ? Faut-il y renoncer pour accéder à la sagesse ? Cela me paraît impensable.

L’intérieur de l’âme est indéniablement au moins aussi vaste que l’Univers, mais doit-on renoncer à l’un pour découvrir l’autre en profondeur ?

Je fais cet autre constat : hormis la vue, au moins trois des autres sens du sage sont toujours en émoi : le toucher, l’ouïe et l’odorat. Sont-ce ces trois sens suffisants pour percevoir ce qu’il faut percevoir du monde extérieur ?
Peut-être est-il nécessaire de fermer les yeux pour optimiser les sensations de ces trois autres sens que l’Homme omet bien trop facilement.

Un sage aveugle… Au sens propre comme au figuré, j’ai encore du mal à y croire.

Calembour

D'eux médire et les maudire.
De mes dires et les mots dire.

II.

(avril 2008)
Agenouillée, les pieds collés contre le mur,
Couverte de coups et injures
Ne pouvant que se plier face à cette emprise
Car tant de fautes elle a commises :


Une année qu’elle a décidé
De  ne plus avaler la moindre bouchée.
Depuis son corps est un squelette
Frêle, elle subit le choc telle une marionnette

Elle a, cette nuit, découché.
Alcool et pilules, maîtres de ses soirées,
L’ont au creux de bras inconnus
Transportée. Ah ! Si seulement elle avait su…

Trépas, seule étoile d’un ciel obscur
Objectif ultime, attrait absolu,
Est maintenant maître de son futur
Victime de sa vie, elle sera pendue.

Imperceptible

Le flux d'individus dans la rue circulait 
J'étais comme étouffé au milieu de la foule. 
Sans voir, sans entendre, ils passaient, se bousculaient 
Ignorant tant qu'ils pouvaient tout ce sang qui coule. 

J'étais allongé sur le macadam glacé 
Tel le néant, invisible aux yeux des passants. 
Un enfant m'observait, et sa mère offusquée 
Mit sa main sur ses yeux et s'enfuit en courant. 

Regardez-vous, tas d'égoïstes malfaisants, 
Toujours en proie à des soucis insignifiants! 
Pendant qu'aveugles vous continuez de courir, 

Étendu sur ce lit d'immondices et d'injures, 
La poitrine en sang, l'âme blessée, le cœur pur, 
-Troupeau d'ignorants!- je continue de mourir.

L'âme de l'écrivain.

Face à mon écran je suis soudain surprise par une émotion qui me submerge. Mes yeux s’humidifient de larmes que je me dépêche de ravaler. Je comprends alors : je suis émue. Devant moi, il y a des mots dont la puissance me ravage.
J’ai toujours eu du mal à comprendre les autres, à m’adapter aux situations qui à première vue paraissent ordinaires. Mes émotions habituelles viennent surtout d’une incompréhension qui s’ajoute aux signaux que mon corps m’envoie pour me faire comprendre que je suis triste, heureuse, amoureuse, en colère, etc. Mais ici, je me retrouve en terrain connu. Les mots. Couchés sur du papier ou tapés sur un clavier, lorsque leur agencement est juste et que leur musique est belle, ils pénètrent à l’intérieur de mon âme.
Ceux-ci m’appellent, me prient de jouer avec eux, virevoltent autour de mon cœur. Mais alors soudainement les doutes m’assaillent. Ces mots ont été écrits par quelqu’un. Un de ces humains que j’ai tant de mal à comprendre. Est-ce que cela veut dire que cet humain est comme moi ? Il est difficile de ne pas distinguer les nombreuses similitudes dans nos écrits. A travers ses mots, je distingue son âme. Mais je ne le sais que trop bien, l’âme de l’écrivain est cachée derrière sa plume. Face à lui ne verrais-je qu’une façade aussi incompréhensible que les autres.
J’en arrive à cette conclusion : l’art offre une chance inouïe que même l’amour ne permet que très difficilement : pénétrer l’âme de l’autre.

Citation: Poupées Russes

Si un électron était doué de conscience, se douterait-il qu'il est inclus dans cet ensemble beaucoup plus vaste qu'est l'atome? Un atome pourrait-il comprendre qu'il est inclus dans cet ensemble plus vaste, la molécule? Et une molécule pourrait-elle comprendre qu'elle est enfermée dans un ensemble plus vaste, par exemple une dent? Et une dent pourrait-elle concevoir qu'elle fait partie d'une bouche humaine? A fortiori, un électron peut-il être conscient qu'il n'est qu'une infime partie d'un corps humain? Lorsque quelqu'un me dit croire en Dieu, c'est comme s'il affirmait: "J'ai la prétention, moi, petit électron, d'entrevoir ce qu'est une molécule." Et lorsque quelqu'un me dit être athée, c'est comme s'il assurait: "J'ai la prétention, moi, petit électron, d'être sûr qu'il n'y a aucune dimension supérieure à celle que je connais." 
Mais que diraient-ils, croyants et athées, s'ils savaient combien tout est beaucoup plus vaste, beaucoup plus complexe que leur imagination ne saurait l'appréhender? Quelle déstabilisation subirait l'électron s'il savait qu'il est non seulement enfermé dans la dimension des atomes, molécules, dents, humains, mais que l'humain est lui-même inclus dans une dimension planète, système solaire, espace, et puis quelque chose d'encore plus grand pour quoi nous ne possédons pour l'heure pas de mot. Nous sommes dans un jeu de poupées russes qui nous transcende. 
Dès lors, je m'autorise à dire que l'invention par les hommes du concept de dieu n'est peut-être qu'une façade rassurante face au vertige qui les saisit devant l'infinie complexité de ce qui pourrait se trouver effectivement au-dessus d'eux.

 Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, Tome V. 
Nous les dieux, Bernard Werber.

Univers

Etendue sur une plage une nuit de juillet, j’observe fascinée l’immensité du ciel étoilé. Par mon regard je m’efforce de pénétrer l’infinie profondeur de l’univers, je plisse mes paupières afin de distinguer les plus lointaines étoiles, et lorsque je les entrevois, je sais qu’elles n’existent probablement déjà plus. Je me demande quelle est la masse totale de vide dans l’univers juste avant de réaliser que le vide ne peut avoir de masse, une sublime contradiction. Après une quinzaine de minutes, mes yeux se sont adaptés à l’obscurité et je vois maintenant régulièrement des étoiles filantes sillonner ce plafond cosmique. J’imagine alors leur réelle taille, un immense noyau de métal et de poussières qui s’embrase au contact de la couche d’ozone et se désintègre intégralement avant même d’avoir touché le sol.

Un tempo saccadé me ramène à la réalité. Je regarde loin derrière moi la foule humaine entassée sur un carré goudronné, je regarde le vide autour et me demande pourquoi ils se regroupent et se serrent les uns contre les autres alors que la température extérieure est de 25°C. De belles lumières colorées fusent et je distingue un mouvement synchronisé de la foule, au rythme du tempo que je perçois. Je regarde à nouveau le ciel et la piste de danse au loin me paraît minuscule. La marche de la société humaine me paraît dérisoire et fragile à côté des lois inébranlables de la nature. Notre planète n’est qu’une poussière au milieu de l’univers, une poussière qui peut mourir au moindre coup de vent. Lorsque je regarde la foule au loin, je me dis que nous ne sommes vraiment que peu de choses, et je commence à comprendre pourquoi ils se serrent, se déhanchent et ferment les yeux. Ils essaient d’oublier.

Enfance

Déchéance. Le temps est un engrenage destructeur. Tout s'effrite, n'est ce pas? Les certitudes s'effondrent et avec elles les bases sur lesquelles la vie avait été construite. A l'image du visage lisse d'un enfant qui avec le temps devient poreux et ridé, l'âme perd son innocence et la vie sa splendeur. L'enveloppe pure et protectrice est détruite à coups de hache. La suite n'est qu'un combat contre la déchéance, un combat perdu d'avance, dont l'issue est fatale. Sans aucune exception.

Quelle beauté que celle d'un enfant et de ses tourments. Profondeur. Vérité. A un enfant, tout est pardonné.

Puis viennent les ruptures. La mort, la séparation. L'abandon. Ce qui remplissait de joie le visage de l'enfant se ternit par accoups. Il perd pied. Il perd face. Il perd son coup de crayon car les arc-en-ciels paraissent soudain irréels. L'imaginaire fait place à une réalité non modelable
Alors, l'enfant demande et se demande pourquoi.
Mais rapidement l'engrenage de la vie l'entraîne et il n'a plus le temps de se poser de questions, étant manipulé, lavé. L'époque où tout semblait possible est révolue, à présent il faut faire des choix et par conséquent des sacrifices. Les soucis quotidiens s'installent et se lisent bientôt sur le visage de l'enfant devenu adulte.

Il déambule à présent dans une vie sans saveur, ses rêves d'enfance à peine perceptibles dans un recoin de sa mémoire. 
Et puis un jour, il donne à son tour naissance à l'innocence, et les arc-en-ciels reprennent place dans sa vie durant quelques instants privilégiés aux côtés de ce nouveau petit être. Il essaiera de préserver la bulle de celui-ci mais tôt ou tard, il la brisera, c'est plus fort que lui. Il le poussera dans l'engrenage de la vie. La même erreur reproduite à l'infini...

Une plume en sucre.

Une plume en sucre à suçoter pendant qu’elle glisse. Courbes sensuelles de lettres calligraphiées sur un papier lisse. Plaisirs combinés d’une langue qui pétille et d’une pointe qui frétille. Plume léchée laisse s’échapper une goutte sucrée tombée sur le papier. La danse sensuelle de l’élégante plume de sucre dégorge mots qui s’entrechoquent pour former un texte choc.

Mots

Les mots sont la gourmandise ultime, à consommer sans modération. Les mots s’accrochent et se décrochent.  Les mots s’enchaînent, s’entremêlent, se substituent. Les mots se déchaînent.

27 novembre 2009
La force des mots. Mots utilisés, indispensables, transparents. Lisez-les. L'un après l'autre en écoutant la consonance de chaque syllabe, de chaque lettre, et vous sentirez leur puissance s'emparer de vous. Lisez-les comme si vous les absorbiez, comme si vous les avaliez, n'en manquez pas une miette. Lisez-les et relisez-les jusqu'à ce qu'ils fassent partie intégrante de vous. Alors seulement ils pourront émaner de vous sans devoir les chercher, les trouver, sans même devoir leur donner un sens. Vous pourrez glisser sur eux comme on glisse sur un livre. Et ils auront la douceur du papier couché.

Tout est mot aux yeux de l’homme et pourtant tout existe sans le mot. Certains sont sans le mot mais pas de mot souligne l’imprécis. L’imprécision dans la transmission car comment transmettre sans le mot ? Sans mot pas de communication, sans communication pas d’interaction, sans interaction pas de civilisation. Tout n’existerait finalement pas, sans le mot…
Mots abstraits ; plus beaux mais aussi plus délicats à manipuler. Définitions subjectives. Donc utilisation redoutable car sources de malentendus. Malentendus source de conflits et conflits source de désastre. Désastre source d’équilibre donc finalement, mots incontestablement bénéfiques.
Enfin, sans le mot pas de savoir et sans le savoir les hommes ne seraient rien de plus que des ani…mots. 
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.