J’ai les
entrailles qui bouillent, le cerveau qui éclate. Que fais-je ici ? Je ne suis
pas à ma place. Cette vie ne m’appartient pas. Je me regarde m’obstiner à
contrer l’échec permanent qui me provoque, m’obstiner à essayer d’être comme
tout le monde, à m’adapter, à vivre, mais la vérité c’est que je me vomirais
dessus tant je me dégoûte. J’ai perdu toute notion de sensibilité, je n’aime
plus, je ne savoure plus, je ne souffre plus. Je regarde l’étui qui contient ma
plume et me force à l’y laisser, elle qui m’appelle, elle, ma seule compagne
digne d’intérêt. J’ai perdu le sommeil, j’ai perdu le désir, la passion, le
goût. L’alcool et le sexe sont devenus mes compagnons de guerre. Me voilà,
glaciale et prudente, découvrant avec amertume mon reflet dans la glace, celui
de celle qui est devenue une femme, une femme séduisante, mais dont la beauté
n’est que façade autour d’une âme en cendres.
Désillusion.
Tel est le fardeau auquel la société contraint ma génération. Nous sommes les
enfants de ceux qui ont réussi, ceux-là même qui nous paient des études qui
nous mèneront droit à l’échec. Nous sommes les enfants de ceux qui ont aimé et
dont le mariage a capoté, ceux-là même qui nous espèrent un destin différent.
Qu’imaginent-ils ? Nous avons découvert le sexe via internet, nous avons
découvert le mariage via l’échec du leur, et même les contes de fées ne parlent
plus d’amour. Nous sommes les enfants de ceux qui portent en eux l’espoir que
nous changerons le monde pourri qu’ils nous ont laissé. Nos aînés sont
utopiques, ils ont l’illusion et la naïveté de croire que nous serons meilleurs
qu’eux. Malheureusement, nous sommes trop réalistes.
Je devrais
avoir la conscience tranquille, je fais exactement ce qu’on a toujours attendu
de moi. J’ai des cernes jusqu’au sol, ma tête me fait mal et mon dos également,
à force d’être assise à mon bureau à réviser. Réviser. Je me plie aux exigences
académiques qui m’ont toujours fait fuir. Si notre rôle est réellement de
rendre le monde meilleur, quel est l’intérêt de faire ses preuves ? Quel est
l’intérêt de cette compétitivité absurde ? Allions-nous, mettons en œuvre nos
connaissances, nos apprentissages, prenons-nous par la main, par l’épaule, et
proposons ensemble des solutions pour réparer cette société dépérie.
Confrontons nos idées dans le respect mutuel. Nous ne sommes pas les uns contre
les autres. Nous sommes les uns avec les autres. Que vous faut-il pour vous en
rendre compte ? Une autre série de drames et catastrophes ? Pourquoi ne
devrions-nous faire preuve de solidarité et de respect que dans les moments
difficiles ?
Je n’ai pas
la conscience tranquille. Que serai-je demain ? Jetée dans un panier, dans une
catégorie. Celle d’en haut. Celle d’en bas. Si je réussis, je serai plus
compétitive sur le marché du travail. Qui sommes-nous pour juger de la valeur
d’une personne d’après un papier ? Et surtout, pourquoi ce besoin vital de
classer et catégoriser les individus ? Je ne veux pas être mieux que les
autres. Je ne veux pas être pire. Je ne veux pas être contre eux. Je veux être
avec eux. Avec ma génération qui a subi les mêmes désillusions que moi. La
course vers le pouvoir est le fléau de l’humanité.