L'âme de l'écrivain.

Face à mon écran je suis soudain surprise par une émotion qui me submerge. Mes yeux s’humidifient de larmes que je me dépêche de ravaler. Je comprends alors : je suis émue. Devant moi, il y a des mots dont la puissance me ravage.
J’ai toujours eu du mal à comprendre les autres, à m’adapter aux situations qui à première vue paraissent ordinaires. Mes émotions habituelles viennent surtout d’une incompréhension qui s’ajoute aux signaux que mon corps m’envoie pour me faire comprendre que je suis triste, heureuse, amoureuse, en colère, etc. Mais ici, je me retrouve en terrain connu. Les mots. Couchés sur du papier ou tapés sur un clavier, lorsque leur agencement est juste et que leur musique est belle, ils pénètrent à l’intérieur de mon âme.
Ceux-ci m’appellent, me prient de jouer avec eux, virevoltent autour de mon cœur. Mais alors soudainement les doutes m’assaillent. Ces mots ont été écrits par quelqu’un. Un de ces humains que j’ai tant de mal à comprendre. Est-ce que cela veut dire que cet humain est comme moi ? Il est difficile de ne pas distinguer les nombreuses similitudes dans nos écrits. A travers ses mots, je distingue son âme. Mais je ne le sais que trop bien, l’âme de l’écrivain est cachée derrière sa plume. Face à lui ne verrais-je qu’une façade aussi incompréhensible que les autres.
J’en arrive à cette conclusion : l’art offre une chance inouïe que même l’amour ne permet que très difficilement : pénétrer l’âme de l’autre.

Citation: Poupées Russes

Si un électron était doué de conscience, se douterait-il qu'il est inclus dans cet ensemble beaucoup plus vaste qu'est l'atome? Un atome pourrait-il comprendre qu'il est inclus dans cet ensemble plus vaste, la molécule? Et une molécule pourrait-elle comprendre qu'elle est enfermée dans un ensemble plus vaste, par exemple une dent? Et une dent pourrait-elle concevoir qu'elle fait partie d'une bouche humaine? A fortiori, un électron peut-il être conscient qu'il n'est qu'une infime partie d'un corps humain? Lorsque quelqu'un me dit croire en Dieu, c'est comme s'il affirmait: "J'ai la prétention, moi, petit électron, d'entrevoir ce qu'est une molécule." Et lorsque quelqu'un me dit être athée, c'est comme s'il assurait: "J'ai la prétention, moi, petit électron, d'être sûr qu'il n'y a aucune dimension supérieure à celle que je connais." 
Mais que diraient-ils, croyants et athées, s'ils savaient combien tout est beaucoup plus vaste, beaucoup plus complexe que leur imagination ne saurait l'appréhender? Quelle déstabilisation subirait l'électron s'il savait qu'il est non seulement enfermé dans la dimension des atomes, molécules, dents, humains, mais que l'humain est lui-même inclus dans une dimension planète, système solaire, espace, et puis quelque chose d'encore plus grand pour quoi nous ne possédons pour l'heure pas de mot. Nous sommes dans un jeu de poupées russes qui nous transcende. 
Dès lors, je m'autorise à dire que l'invention par les hommes du concept de dieu n'est peut-être qu'une façade rassurante face au vertige qui les saisit devant l'infinie complexité de ce qui pourrait se trouver effectivement au-dessus d'eux.

 Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, Tome V. 
Nous les dieux, Bernard Werber.
 
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