Vélo

Et là sur ma gauche il y avait la mer, à perte de vue. Le ciel était nuageux mais cela n'altérait en rien les reflets azurs de l'eau. La route asphaltée s'appelait "Lungomare", rien d'étonnant. Face à moi, je la voyais longer la montagne, je la voyais grimper et redescendre. Dans mon corps déjà se tendaient mes muscles, ceux de mes cuisses, de mes mollets, déjà mon corps s'activait d'excitation face à un tel spectacle. Et puis je pris une bouffée d'air, mis mon pied droit sur la pédale, et donnai ma première impulsion. Mon pied gauche vint rejoindre la seconde pédale, mes chaussures s'accrochèrent, et, debout sur mon vélo, je commençai à prendre de la vitesse. Le vent contre mon visage fit sécher les dernières larmes qui collaient encore à mes joues. Arriva la première montée, je me mis à grimper, baissai les vitesses, maintenant, tout mon corps en action, mes muscles se contractent et se décontractent dans un rythme régulier et pourtant tout est dans ma tête, chaque poussée comme un combat contre moi-même, contre la faiblesse de ma douleur, de mes larmes, et aussi contre ceux qui les ont fait couler. C'est ici, ma force, ma revanche, c'est sur mon vélo que je la trouve, c'est ici mon combat, si je peux surmonter la douleur de mon corps alors je peux surmonter toutes les douleurs. Je dois juste atteindre le sommet, ça y est mon esprit se vide, plus rien d'autre n'existe que l'asphalte sous mes yeux, devant ma roue, que mes jambes qui poussent et souffrent et poussent encore. Cette fois-ci j'ai de la chance, la montée n'est pas interminable comme d'autres, je n'ai pas le temps d'atteindre ma limite, je n'ai pas le temps de dépasser ma limite, que déjà arrive la descente. Mes jambes ralentissent. Repos du guerrier. Je prends de la vitesse, je ne veux pas freiner. La route est sinueuse et je penche mon corps sur la gauche et sur la droite pour la suivre. Il n'y a toujours aucune voiture. Le vent de la vitesse sur mon corps encore endolori fait s'hérisser les poils de mes bras. Je respire. Enfin, je respire. L'air marin, l'odeur des arbres, je respire loin des villes l'air de la liberté. A ma gauche, la mer, impassible, n'a pas bougé. L'horizon me contemple dans son infinité.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.