Pour ne pas oublier.

Plusieurs fois, on m'a demandé d'où vient ma passion pour l'écriture.
J'ai commencé à écrire le jour de mes 12 ans lorsque j'ai reçu un journal intime pour mon anniversaire.
J'écrivais pour ne pas oublier. J'étais terrorisée à l'idée d'arriver à l'âge adulte et d'avoir oublié toutes les pensées, émotions et expériences qui occupaient ma vie d'enfant.
Aujourd'hui, j'aimerais écrire pour la même raison. Pour ne pas oublier.
Ubud, Bali, décembre 2019.
À peine arrivée dans ce village des montagnes indonésiennes, j'ai directement senti une énergie particulière. Une énergie douce, qui pousse a la contemplation, la contemplation extérieure et intérieure, une énergie bienveillante, de paix et de bien-être.
Ce sera l'aspect spirituel qui revêt ces lieux. Chaque famille possède un temple. Parfois, plusieurs familles combinent leurs économies pour construire un seul et même temple auquel ils auront tous accès. C'est le cas du bed and breakfast dans lequel je loge. En face de mon bungalow, un temple d'un demi-hectare est partagé par la famille qui m'héberge et les deux familles voisines.
Ce sera le vert des montagnes. Une jungle apprivoisée. Des bananiers, des cocotiers et d'autres centaines de variétés d'arbres dont je ne connais pas le nom. Des rizières, des plantations de café à n'en plus finir.
Ce sera l'énergie positive que tous les touristes à la recherche de yoga, méditation et plats végétariens sont venus amener.
Ce sera peut-être tout simplement moi, qui suis dans le juste état d'esprit. Moi, qui aime la spiritualité, la nature, le yoga, la méditation, les massages et la nourriture saine.
Pourtant, les scooters filent et défilent comme partout ailleurs sur l'île. Je les entend pendant ma session de yoga. Mais étonnamment, ils ne me dérangent pas plus que ça.

Je n'aimerais pas oublier les gamines de 10 ans conduire des scooters dans les villages isolés.
Je n'aimerais pas oublier les jeunes femmes occidentales devant leur ordinateur dans les cafés locaux, en train de travailler à côté d'un smoothie bowl, et qui prouvent que oui, avoir ce type de vie, c'est possible.
Je n'aimerais pas oublier l'odeur de l'encens devant les temples familiaux.
Je n'aimerais pas oublier la présence divine que j'ai sentie dans les temples plus grands, et la conviction qu'aucune religion ne détient la vérité absolue, comme aucune religion n'est dans le faux, mais nous avons tous le même Dieu, peu importe le nom ou le nombre qu'on lui donne. Dans cette dimension supérieure, il n'y a pas de nom, il n'y a pas de nombre. Un ou plusieurs, c'est pareil. Chaque entité peut être divisée en plus petites entités et pourtant, tous ensemble nous ne faisons qu'un. Tous ensemble, nous sommes Lui. L'entité suprême et absolue.

Libre.

Bien sûr, écrire. Renouer avec cette passion endormie, cette plume immobile qui a la délicatesse de se réveiller uniquement lorsque mon âme convulse. Lors de la longue et douce descente qui suit l'infarctus de mes émotions. Infarctus. Il n'y a pas d'autre terme.

Ce fut d'une telle violence. Savez-vous ce qui est pire encore que l'adultère? Entendre l'homme que vous aimez donner du plaisir à une autre. Là, dans la chambre d'à côté, à quelques mètres seulement de votre carcasse épuisée. Dans le lit que vous avez partagé, le lit dans lequel vous vous êtes susurrés des mots d'amour, où vous vous êtes endormis chaque soir enlacés, là, dans les entrailles de votre intimité.

Une inconnue, d'elle vous ne connaissez que le visage recouvert d'une couche épaisse de maquillage. Vous l'entendez rire. Vous l'entendez gémir. Réveillée au milieu de la nuit, vous êtes immobile, sous le choc, incapable de réagir.
Une violente nausée s'empare de vous.

Fight, flight, freeze. J'ai fui. Je me suis sauvée. Parce qu'il le fallait, il fallait que je me sauve. Que je me sauve de cet homme dont j'ai été sous l'emprise pendant des mois. Étouffée par ses prétentions. Par sa jalousie. Par son insécurité. Annihilée par l'amour que je lui portais.

De ce genre de choc, on ne se remet pas en 24h. Mon estomac refuse encore toute nourriture, je me réveille au milieu de la nuit et je les entends, encore, en boucle, gémir dans la chambre d'à côté.

Mais, paradoxalement, un autre sentiment, plus fort encore, est né.

Libre.

Nomade


C'est plus fort que moi. Je n'aime pas la personne que je suis quand je suis immobile.
Pourtant je les envie, ces gens qui ont mon âge, parfois moins, ils ont ce qu'on appelle une situation, un appart ou une maison, des économies, une famille.
Et moi je suis là, ici aussi, toujours en mouvement, seule à durée indéterminée, mais seule toujours, puisque jamais je ne m'arrête, puisque l'immobilité m'angoisse, puisque la routine me détruit.
Certains diront que je fuis, que fuis-je? D'autres diront que je suis à la recherche de quelque chose, mais quoi donc ?
Je leur donne tort. Je ne fuis rien. Je ne recherche rien. Je suis une nomade dans l'âme. Une curieuse assoiffée et inassouvie. J'ai visité les endroits les plus beaux du monde, ceux qui pouvaient m'offrir l'équilibre dont je rêve. J'ai rencontré les personnes les plus belles du monde, j'ai partagé une parcelle de leur vie, enlacé leurs forces et leur faiblesses, parfois lié ma vie à la leur éternellement.
Et pourtant, je ne sais m'arrêter. Je marche, cours, pédale, vole jusqu'à en perdre haleine.
Le cœur en paix lorsque je m'avance vers de nouveaux horizons.
Et au fond... Ai-je vraiment envie de m'arrêter ?

 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.