Je suis étudiante.

Les études ne sont rien de plus qu’un gain de temps. Faisons l’effort de nous pencher sur la question, en-dehors de ces sessions d’examens durant lesquelles ce n’est jamais le bon moment, durant lesquelles l’immobilité qu’elles m’imposent face à mon écran me forcent à méditation, durant lesquelles je deviens l’esclave de mon inspiration, si vicieuse quand elle veut.
Bon. Le marché de l’emploi, en ce moment, ça craint un max. On est d’accord. Du coup, il vaut mieux attendre quelques années avant de s’y frotter. L’atmosphère y sera peut-être plus respirable. Peut-être moins aussi. Les études sont un gain de temps, des œillères pour ne pas faire face à cette réalité-là.
De plus, il faut bien l’avouer, un ou deux diplômes, sur un CV, c’est toujours bénéfique.
Et puis, la psychologie reste tout de même une discipline absolument fascinante ; disséquer le fonctionnement du cerveau humain, entité aux limites encore inconnues, malléable et expansible à souhait, et surtout ses disfonctionnements, approcher les fondements non-fondamentaux de la folie, réaliser le lien étroit qui l’unit au processus créatif, les fous font les meilleurs artistes.

Cependant, lorsque je me pose la question de la réussite, cette question qui hante la bouche et l’esprit des occidentaux stressés, lorsque je me demande : Pourquoi réussir ? ou plus exactement : Pourquoi me plier aux exigences académiques, aux amorces d’une société individualiste et compétitive, une société qui représente tout ce qui m’abjecte ?, la réponse est aussi simple qu’effrayante : Pour partir en Erasmus en Italie l’an prochain. En d’autres termes, fuir ici ce que je crois naïvement ne pas retrouver ailleurs, me rapprocher de racines que j’ai gardées trop longtemps enfouies, espérer un cadre plus humain, plus authentique, des rencontres plus simples, plus chaleureuses aussi, me rapprocher de la mer, des oliviers, des vignobles, des vraies tomates, celles qui ont du goût, et toutes ces choses simples qui enveloppent mon âme d’un halo de sérénité.

Des citations, en ce moment, il m’en tombe à la pelle. Hier celle-ci : Chacun de nous passe de longues périodes au cours desquelles il n'existe absolument pas mais se borne à feindre d'exister. (Thomas Bernhard) Ou encore aujourd’hui celle-là : Le meilleur de la vie se passe à dire «Il est trop tôt», puis «Il est trop tard». (Gustave Flaubert)
Mes yeux ne sont-ils qu’attirés par ce qu’ils veulent bien voir, ou la vie essaie-t-elle clairement de me faire passer un message ?
J’ai systématiquement cette culpabilité, pesante, de ne pas consacrer assez de temps à l’écriture. C’est vrai, si j’étais payée pour cela, j’écrirais du matin au soir, peut-être même du soir au matin. Toujours de quoi écrire à portée de main, je m’attellerais à ma tâche favorite : observer et consigner.
Toute expérience est bonne à prendre, car tout est intéressant lorsque l’on sait observer, et donc tout est potentiellement source d’inspiration à l’écrivain que je suis. Je dis l’écrivain que je suis à escient, car ce n’est pas un métier, ni quelque chose que je voudrais faire de ma vie, c’est une part de moi, bien existante, une part énorme, peut –être même la plus importante, c’est qui je suis, qui j’ai été, et qui je serai, éternellement. Quoiqu’il m’arrive, que ce soit dans ma vie privée ou professionnelle, je continuerai à écrire, Nulla Dies Sine Linea, c’est un choix sans en être un, c’est vital, c’est une obligation, une chance inouïe, d’avoir cette faculté-là, cette facilité-là, cette fluidité-là, j’ai besoin d’écrire, pour moi, pour les autres aussi, pour vous.
Les études sont pour moi un peu plus qu’un gain de temps. Elles sont une expérience, non, une foule d’expériences, une quantité effroyable de connaissances passionnantes dont ma plume s’abreuve pour nourrir mon imagination.

De mon avenir, je n’ai qu’une seule certitude : tant que mon cerveau fonctionnera, j’écrirai.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.