Sans étiquettes

S’il doit y avoir une chose qui me révulse au point de m’en faire dresser mes cheveux blonds sur ma tête, ce sont les étiquettes.
C’est pourtant systématique. On ne se présente pas en disant « Bonjour, moi c’est Dominique, j’aime la nature et aussi le chocolat, j’ai tendance à être timide mais si je bois une ou deux bières, alors je peux danser toute la nuit, surtout sur du vieux Rock’n’roll, j’adore le vieux Rock’n’roll. »
Non. En général, c’est plutôt ainsi « Bonjour, moi c’est Dominique. » J’ai les cheveux courts, des poils aux bras, un pantalon à pinces et je sens le musc de mon après-rasage, je suis un homme. J’ai une cravate et une ceinture Hermès, une montre Rolex, je paye avec des gros billets, je suis riche. Voici ma carte de visite, je suis banquier, gestionnaire marketing. J’ai une alliance, je suis marié. Je la mets dans la poche, je suis un mauvais mari.

Quel est ton sexe, ta religion, ta nationalité, ta sexualité, ton statut social, économique, es-tu un mari, es-tu un père, combien gagnes-tu, qu’as-tu fait comme études, bonjour, voici le CV de ma vie.

Salut, moi c’est Laetitia, je suis terrienne.

Le problème, c’est que ces catégories deviennent intrinsèques à l’œil que l’on porte sur l’autre. Le problème, c’est que lorsque quelqu’un brise les schémas de ces catégories, ou pire, ne se retrouve dans aucune catégorie existante, cela créé un malaise chez l’individu tout venant, celui qui aime se catégoriser. Le problème, c’est que ceux qui ne s’y retrouvent pas, ceux qui se refusent à utiliser ces étiquettes sociales à deux balles comme fondement de leur identité, ceux-là sont rejetés par la crétine majorité.

Prenons la sexualité pour exemple. L’homosexualité est aujourd’hui tolérée car il existe un panier dans lequel on peut mettre ces individus qui aiment les personnes du même sexe que le leur. Une étiquette à laquelle peuvent s’identifier ceux qui ne se retrouvent pas dans le schéma d’hétérosexualité dominant. Ce schéma femme féminine – homme masculin. D’ailleurs, ceux qui admettent uniquement le schéma homosexuel femme féminine – femme masculine ou homme masculin – homme féminin sont aussi fermés d’esprits que ceux qui ne « tolèrent pas » l’homosexualité. « Qui fait l’homme et qui fait la femme ? » Au secours ! J’ai l’impression de devoir expliquer à un enfant qu’entre 1 et 2 il n’y a pas seulement 1 et 2, mais aussi 1.5 (première étape : bisexualité), mais aussi 1.1, 1.2, 1.3, 1.4, 1.6, 1.7, 1.8 et 1.9 (deuxième étape : échelle de Kinsey), et enfin qu’entre ces décimales il existe une infinité de possibilités, un infiniment petit, comme le 1.11111… qui ne termine jamais, lui expliquer que chaque nombre n’est identifiable que par celui qui le suit et celui qui le précède (exactement comme le temps, le présent n’est identifiable que par le passé et le futur, mais je m’égare…).
C’est comme vouloir expliquer la 3D à celui qui n’a jamais vécu qu’en 2D.

Salut, moi c’est Laetitia, je suis terrienne, et je ne suis ni homosexuelle, ni hétérosexuelle, ni bisexuelle. Et là en vous naît le malaise. Comment me catégoriser ? Peut-être ainsi : humanosexuelle. Je suis une humaine qui aime un autre humain, indépendamment de son sexe, de sa religion, de sa nationalité, de sa sexualité, de son statut social ou économique.

Je vais encore davantage briser vos petits schémas binaires : il existe un continuum de l’identité de genre, et un continuum de la représentation de cette identité. Il n’y a pas de féminité ou de masculinité dans la façon de vêtir, de se coiffer, de se comporter, la masculinité et la féminité sont des constructions purement sociales, une façon de plus de catégoriser les gens pour avoir la sensation de contrôle sur l’existence humaine, de connaître l’autre avant même de le rencontrer, de savoir d’avance quel comportement avoir vis-à-vis de lui, mais nous sommes aussi différents les uns des autres qu’il y a d’humains sur terre, si vous voulez créer des catégories, merci d’en créer 7 milliards. Chaque individu puise ce qu’il souhaite dans les catégorisations sociales, celles d’identité de genre ou toutes les autres, que ce soit par envie ou par devoir, ou par désir conscient ou inconscient de se fondre dans la masse.

Je vais encore plus loin : il n’existe pas de schéma binaire homme vs femme. Il existe quatre catégories qui définissent ce qu’est un homme ou une femme, et aucune de ces catégories n’est binaire.1
  •        La première : le sexe chromosomique. XY pour un homme, XX pour une femme. Et que fait-on des femmes XY, des hommes XX ? Que fait-on des XXY, XXXY, XXX, XXXO, etc ?
  •        La deuxième : le sexe gonadique. Testicules pour un homme, ovaires pour une femme. Or, certaines femmes avec un sexe chromosomique XY naissent sans ovaires ni utérus. Elles ont pourtant l’air de femmes.
  •        La troisième : les organes internes. Prostate pour un homme, utérus pour une femme.
  •        La quatrième : les organes génitaux externes. Ce que l’on voit. Ce que l’on utilise habituellement pour déterminer le sexe d’un enfant.

S’il vous faut des chiffres, selon une étude scientifique rapportée par l’ISNA (Intersex Society of North America), un enfant sur 2000 naît sans que le médecin ne puisse dire d’après ses organes externes s’il s’agit d’un petit garçon ou d’une petite fille. Donc, nous parlons ici uniquement de la quatrième catégorie. Nous n’avons pas de chiffres pour les autres catégories. C’est compliqué, vous êtes peut-être XXY sans même le savoir.

...N'avez-vous pas le sentiment que ces catégories sont la source de tous les conflits? Conflits religieux, politiques, territoriaux (nationalité et sentiment national), droits de la femme, droits des homosexuels, ...
Je ne dis pas que tous les humains se valent, loin de là, mais je pense que la qualité d'un être humain ne se juge pas d'après ces étiquettes-là.

Tout ça pour dire que, la prochaine fois que vous vous présenterez à moi, sachez que ce qui m’intéresse, c’est votre personnalité, vos goûts, vos envies et vos rêves. Les paniers sociaux dans lesquels vous vous situez, j’en ai strictement rien à foutre.

1 Source : brochure « Parlons trans : à la frontière des genres », édition Association Aspasie et Espace 360, Genève.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.