À la masse.

Je suis à la masse.

Totalement et à cent pour cent lunatique, de façon presque trop extrême, je peux avoir envie de rester au fond d’un caveau et ne plus me relever et quelques minutes plus tard, rire, danser, et chanter que la vie est belle.

Je n’ai aucune ambition, non, plutôt, mon ambition est fluctuante et je ne suis jamais à sa hauteur. D’ailleurs, je suis une adepte de la procrastination, et je suis d’avance épuisée lorsque j’imagine tout ce que j’ai à faire, tellement épuisée que même respirer me fait mal à la poitrine, alors je rentre en apnée quelques secondes, jusqu’à ce que cela m’épuise trop à son tour, je respire un grand coup, mes tensions se relâchent, mon corps s’affaisse, je ne peux plus bouger. Le problème, c’est le moment où cela s’arrête, où l’énergie se décide enfin à regagner mon corps. Tout ce temps perdu, je m’en veux, c’est terrible, encore plus de choses à faire, plus de choses à rattraper, cela m’angoisse encore plus, j’ai envie de me punir, je me mets tous les jours des résolutions que je n’arrive pas à tenir, tiens, une punition et tu repars, non, je ne veux plus me faire de mal, je me le suis promis. Parfois, lorsque je suis trop angoissée, il y a cette autre moi qui me rassure, je l’ai si souvent appelée, toutes ces fois où ceux sur qui je pensais pouvoir compter m’ont déçue ou abandonnée, on ne peut compter que sur soi-même, je me le suis tant répété que j’ai fini par me parler, me caresser la main, sécher mes propres larmes, me rassurer comme je le peux, dans cette dualité qui m’anime, ces mots qui m’envahissent, tu n’es pas seule, non, je ne suis jamais seule, je suis toujours avec moi-même.

Je suis tellement à la masse que je ne comprends pas ce que je devrais comprendre dans cette réalité, ça fait rire les gens, on dit que je suis blonde, d’ailleurs je suis la première à le dire, j’ai beaucoup d’autodérision. Et après, lorsque l’on prend le temps de discuter avec moi des sujets qui m’intéressent, j’entends dire d’un air presque surpris qu’elle est intéressante ou intelligente, je ne sais pas ce que veut dire intelligente, en tout cas je comprends beaucoup de choses, je suis vive d’esprit et très lucide. À nouveau, lorsque cela m’intéresse.

Le problème, c’est la notion de hiérarchie. Je peux laisser tomber tout ce que j’ai à faire dans la journée simplement parce que j’ai besoin d’aller voir l’eau, et cela est beaucoup plus important pour moi que le reste. Ou, plus régulièrement, m’asseoir face à mon écran et écrire pendant que les minutes s’engloutissent les unes derrière les autres, et c’est seulement lorsque mon texte est fini et que je me suis relue trois ou quatre fois que je regarde l’heure et réalise que je suis en retard à un rendez-vous.

Lorsque je serai grande, je vivrai dans un monde fictif. D’ailleurs, le monde réel est bien trop limité, les seules créatures intelligentes qui y habitent sont les humains, les chats, les dauphins et les fourmis, et en plus on ne peut même pas voler à moins d’avoir des ailes. Lorsque je serai grande… Je vais avoir 22 ans. Quand j’étais gamine, j’imaginais qu’à 23 ans j’aurais fini mes études, et que j’aurais mon premier enfant. Que tout serait différent dans ma tête une fois adulte. Et aujourd’hui, j’ai toujours l’impression d’avoir du sang elfique, de pouvoir communiquer avec les fleurs et que je vais bientôt recevoir une lettre de Poudlard pour aller faire l’école des sorciers.
Je n’ai jamais eu beaucoup de copines à l’école. Une ou deux, des amitiés presque trop fusionnelles qui ont brisé mon cœur d’enfant. Alors que les autres filles voulaient être grandes, se maquiller et avoir de jolis sacs pleins de marques, je lisais Amélie Nothomb et JK Rowling, je jouais à SuperMario64, à Zelda et aux Sims, je tenais assidûment un journal intime et j’écrivais des histoires fictives métaphoriques. En grandissant ce furent les mangas, les séries TV, Werber et Tolkien, les films de Miyazaki et les romans gores de Murakami, Japan Expo, les fêtes médiévales, mon premier roman, une quinzaine de blogs, le monde de Tim Burton, Kingdom Hearts sur PS2 et Prince of Persia sur PC, Death Note, Heroes, Nip/Tuck, tant d’univers irréels qui petit à petit m’ont construite, et ont d’une façon ou d’une autre influencé mon univers aujourd’hui, mon univers artistique, mais aussi celui qui structure mon cerveau et mes pensées.

Ce que j’appelle beauté est comme une énergie indescriptible qui anime uniquement certaines choses du monde réel. Des images peuvent être belles, des mots aussi, des émotions, des sensations, des idées, je crois que l’art recherche avant tout à conserver ces beautés un peu plus longtemps, à les capturer pour ne pas les perdre, en mêlant de façon habile la transposition, la création et la communication.
Je ne fais pas la différence entre les différentes émotions que cela me procure. Je peux être témoin d’atrocités et les trouver belles, être envahie de quelque chose de fort, plus fort que de la simple tristesse. La souffrance et la joie peuvent être aussi belles l’une que l’autre, pas systématiquement, loin de là, ce sont des émotions, des images fragmentées à capturer.

On peut me croire laxiste ou je-m’en-foutiste, c’est peut-être un peu le cas, je suis zen, distante, rien n’est important. Ou plutôt, ce qui est important pour moi est difficilement compréhensible pour quelqu’un qui vit dans le monde réel, et par monde réel, j’entends celui que la société a créé, est-ce le monde réel, cela reste fortement discutable.

Je n’arrive pas à m’adapter. C’est le constat d’un échec constant, répétitif et systématique. J’essaie pourtant, mais sans réelle conviction. Je ne suis pas à ma place.

Je vous l’avais dit, je suis totalement à la masse.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.