Ça et Moi

J’ouvre les yeux. J’ai soif. Je me lève, me dirige vers la salle de bain, je laisse l’eau du robinet couler contre ma joue. J’entrouvre mes lèvres et j’aspire, je lape, j’avale, je bois encore et encore jusqu’à ce que mon ventre soit gonflé, jusqu’à ce qu’il soit à la limite de l’explosion. Je jette un coup d’œil au réveil. Trois heures du matin. Merde. Je ne suis plus fatiguée. Et puis en fait, je crève de chaud. De petits pas de souris silencieux, je me rends sur le balcon. Il fait frais, calme, je respire. Je ne porte qu’un caleçon et un débardeur. Il n’y a pas de vent. Juste le silence. Et les étoiles. Je jette un coup d’œil par-dessus la rambarde. Putain, on est haut. Cinquième étage. Et si je sautais ? Une envie irrépressible que ma raison objecte aussitôt. Si tu sautes, tu vas mourir, petite sotte ! Je regarde en face de moi, le ciel étoilé qui domine les immeubles. Non, j’aimerais encore voir les étoiles. Ce n’est pas encore mon heure. Je m’allonge sur le canapé et admire le spectacle céleste. Mais ce n’est pas comme en vacances, lors de ces instants privilégiés en ma compagnie, dans l’obscurité totale, flottant sous le ciel / au-dessus du ciel, tout est une question de perspective… Ça m’énerve !
Premièrement, il y a trop de lumière en ville. Je n’arrive pas à voir assez loin. Et surtout, mon âme n’est pas tranquille. Ce n’est qu’une évasion partielle. Je me concentre de toutes mes forces pour m’évader, mais je n’y parviens pas. Allez, saute, envole-toi. Non ! S’envoler pour s’évader n’est qu’une image ! Je ne veux pas mourir ! Je commence à avoir froid… De petites lames glacées qui courent le long de ma peau. Ce que c’est bon ! Souffrir, juste un peu, pour se sentir exister.
Le parquet grince. La lumière du couloir s’allume.

Je suis de nouveau sur ce même balcon. Deux semaines ont passé. Deux semaines durant lesquelles je me tapissais dans l’ombre. Mais face à la verdure des arbres, aux effluves de quelques verres de vins qui viennent titiller mes nasaux, je m’éveille. J’aimerais m’accrocher à la rambarde, me pendre au-dessus du vide, sauter de balcon en balcon, glisser contre le mur. J’aimerais marcher dans les airs, à la cime des arbres, flotter, sans aucun contact avec le monde réel, pas même mes pieds contre le sol. Pourquoi ne pourrais-je pas marcher au-delà de la rambarde ? La distance au sol est exactement la même. Et pourtant, sur ce balcon en cet instant, je marche. Les lois de la physique se chamboulent. Pourquoi tomberais-je ?
Je me penche au-delà de la rambarde. Mes hanches y prennent appui. Mes mains la tiennent fermement. Je n’ai plus peur. Et pourtant, mon corps me renvoie tous les indices de mon vertige maladif. Mes jambes tremblent, mes mains sont moites. Mais je n’ai pas peur. J’analyse ces expressions corporelles avec curiosité. Ainsi, elleje… n’a pas totalement disparu. Se tapisse dans mon corps. Je la sens. Elle a peur. Elle crie à l’aide dans un éclat de lucidité. Je lui fais peur mais je ne suis pas son ennemie. J’ai besoin d’elle. Pour me contenir. M’empêcher… de tout foutre en l’air.

 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.