La fille qui pleure

C’est ainsi que tu te rappelleras de moi. La fille qui pleure. J’ai pourtant tenté d’être la fille joyeuse, celle qui mets du baume au cœur avec son grand sourire innocent qui traverse son visage de part et d’autre de sa chevelure blonde. J’ai réconforté les âmes écorchées, celles qui s’arrêtaient au coin des bars du crépuscule à l’aube. J’ai aimé ce rôle, un rôle facile, on se sent utile, certains mêmes m’ont volé des baisers qui sur leurs lèvres avaient le goût du paradis.
Je pense que c’est ce que j’ai toujours fait, depuis l’enfance. M’occuper des autres par peur de contempler la vacuité de ma propre existence.
Mais le simulacre a cessé avec toi. Tu me tends tous les jours un miroir dont la contemplation me déchire. Tu n’as pas besoin de moi. Pas comme les autres. Tu souhaites me voir m’épanouir face à mon miroir. Et moi, tout ce que je vois, c’est une fille qui pleure. Je déteste ce miroir, on y voit tous les détails de mon âme, l’encre qui a noircit ses rêves, on y voit la désolation et la déception, on y voit le pessimisme, la faiblesse, l’immobilité, la crainte, et par dessus tout l’incommensurable solitude.
Il y a un nœud de mots coincés dans la gorge, de la pyrogravure sur les avant-bras, des bleus dans l’estomac. Un bouclier de muscles que j’ai tenté maladroitement de construire ces dernières années. Il y a aussi une aura dorée qui m’entoure, et un fil de fer qui relie mon corps de la terre au ciel infini. Et à la place du cœur, un trou. Evidemment, mon cœur a disparu. Tu me l’as volé, toi derrière ton miroir.
La fille qui pleure pleure davantage. Elle tente de briser le miroir de ses mains délicates. Sans succès.
Comment suis-je sensée m’épanouir sans mon cœur ? Où trouver le bonheur si je ne puis animer mon corps de sang, de vie?
Mais je connais la réponse.
Rejoins-moi. De l’autre côté du miroir.
 
© Copyright Laetitia Carboni 2014 La cerise sur l'éclat de carbone.